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La légitimation du sentiment nationaliste par l’Eglise orthodoxe serbe à travers le conflit du Kosovo

Dan PARLEA

04 / 1999

L’Eglise orthodoxe a toujours constitué en Serbie, comme dans toute la région des Balkans d’ailleurs, un allié de marque du pouvoir étatique, et du pouvoir nationaliste d’autant plus. Dans ce contexte-là, M. Bogdan Bogdanovic, intellectuel dissident faisant partie du groupe libéral intitulé ’Le cercle de Belgrade’ et ancien maire de Belgrade, avait soulevé un grand défi en comparant le rôle joué par l’église orthodoxe serbe dans la guerre contre les musulmans (Bosniaques ou Kosovares)et les catholiques (Croates et Slovènes)à celui exercé par les imams de Khomeyni dans le cadre du terrorisme intégriste islamique.

Cette affirmation trouve ses appuis dans l’histoire même de la nation et du territoire serbe. Le point de vue exposé plus haut, celui d’un intellectuel serbe luttant pour l’objectivité, à contre-courant qui plus est, gagne une dimension particulière si on prend en compte les efforts de l’establishment yougoslave dirigés depuis toujours vers un certain révisionnisme historique (comme le dit Michael Lees, l’un des défenseurs convaincus des idées serbes dans la diaspora américaine - ’Un mensonge dit cent fois devient vérité’).

Ce même révisionnisme historique, qui est considéré par ses conceptualistes comme parfaitement légitime, nécessaire et bien-fondé, surgit de temps à autre dans les milieux intellectuels, comme il est le cas d’un livre paru en 1992 aux Etats-Unis, sous la direction de William Dorich, intitulé simplement ’Kosovo’.

Ce qui nous intéresse dans cet ouvrage c’est d’abord la volonté déclarée de ses auteurs d’exposer, par le biais d’études historico-politiques successives et progressives, une lecture exclusivement serbe de l’histoire de la région du Kosovo, des origines et jusqu’à présent. Une fois cet aspect bien délimité, on peut passer à un cadre encore plus large, celui du contexte dans lequel cette étude fut entreprise. Car 1992, année de la publication de cette étude vient immédiatement après 1990, année qui vit le Kosovo déclarer son indépendance (au mois de juillet), geste réprimé énergiquement par un Belgrade soumis à Slobodan Milosevic, et 1991, année de la proclamation d’une ’République’ du Kosovo, reconnue par l’Albanie, à l’issue d’un référendum clandestin. De plus, le 24 Mai 1992 on assiste à l’élection d’un certain M. Ibrahim Rugova, leader de la Ligue Démocratique des Albanais du Kosovo, à la présidence de la ’République’, lors d’un scrutin déclaré illégal par les autorités de Belgrade.

Dans ce contexte, on assiste au généreux ralliement de la part de la quasi-totalité de la hiérarchie religieuse orthodoxe serbe à la rédaction et aux thèses soutenues dans cet ouvrage. Les textes rassemblés ici illustrent parfaitement la position moderne et contemporaine du clergé orthodoxe serbe. Sans intermédiaire, par la bouche même de ses hauts membres, coauteurs de ce recueil de textes ; le clergé orthodoxe s’exprime. On peut ainsi citer parmi les auteurs ou les consultants au projet: le Haut-Patriarche de Yougoslavie, S. S. Pavle, l’Archevêque de l’Eglise orthodoxe serbe des Etats-Unis, S. S. Chrysostom, les Monseigneurs Atanasije Jevtic, Mateja Matejic, Nikolaj Velimirovic, Dennis Pavichevich, ou l’Archimandrite Dositei Obradovich. Autant de noms résonants dans le temple de l’orthodoxie, qui se rallient sans détours au projet nationaliste serbe.

Sa Sainteté Pavle, qui demeure aujourd’hui encore (et plus fort que jamais)Patriarche de Yougoslavie, bénéficiera du privilège de présenter son point de vue, et implicitement celui du for ecclésiastique qu’il représente, dans une introduction ayant les mérites d’être à la fois succincte et très explicite. Il commence sans hésitations, en affirmant le fait que ’pour des siècles entiers le territoire du diocèse du Ras-Prizren (la région de Prizren, territoire kosovare, n. n.)fut le centre de notre vie nationale et religieuse. Il resta ainsi même après toutes les destructions provoquées par les envahisseurs, du fait qu’ici se trouvent les reliques des plus importantes oeuvres architecturales de l’Eglise, de l’art et de la littérature serbes’. Il ajoute, en soulignant, comme s’il était encore nécessaire, l’étroite relation entre le projet transcendantal de son Eglise et la réalité du projet nationaliste (séculaire)serbe: ’Le choix de l’Eternel Royaume des Cieux ne signifie pas le reniement de notre vie de passage sur terre, et par notre foi en l’immortalité de l’âme on ne renie pas nos liens personnels à notre vie historique’. Et pour finalement vulgariser aux fidèles Serbes la vision de l’Eglise sur les conflits liés à l’écroulement de l’ancienne Yougoslavie, et sur le projet nationaliste serbe, Sa Sainteté Pavle proclame sur un ton triomphaliste et mobilisateur, comme un bon chef d’armées: ’Appartenant à un si sage peuple, le Prince St. Lazar (celui qui avait mené les troupes serbes contre l’invasion ottomane en Europe, lors de la bataille du Kosovo, en 1389, soldée par une sanglante défaite des forces anti-musulmanes, n. n.)confirma véritablement l’importance de cette décision: plutôt vouloir disparaître comme êtres humains que vivre comme des lâches. Pour nous il n’y a pas le choix: plutôt un homme mort qu’un lâche vivant. Parce qu’un homme, même mort, n’est pas mort devant Dieu. Dans Ses yeux, le lâche est mort même s’il continue à traîner à la surface de la terre’.

Et on finira toujours par les paroles de Sa Sainteté Pavle, qui résout une fois pour toutes la question du Kosovo : ’dans le cadre de l’héritage de notre terre serbe, le Kosovo représente notre devoir devant Dieu, et surtout ces malheureux gens qui souffrent dans leur coeurs troublés et qui défendent leurs lieux sacrés. La préservation de ces trésors inestimables (spirituels et matériels)de la région du Kosovo est dans l’intérêt non seulement des Serbes, mais de toute l’humanité’.

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