La fonction de la religion chez les élites protestantes guatémaltèques
04 / 1999
Pendant la guerre civile au Guatemala, l’Eglise guatémaltèque, en communion avec l’Eglise latino-américaine, avait fait son ’option préférentielle pour les pauvres’. Par ses positions, elle se situait socialement et politiquement plutôt du côté des plus démunis. Les élites du pays avaient l’impression d’être négligées par cette Eglise, sinon accusées.
C’est dans ce contexte que, dans les années 1980, des membres des élites économiques et politiques du pays commencent à se convertir au protestantisme. Il s’agissait de familles puissantes, ayant un capital économique et culturel notable et une approche néo-libérale de la société, et qui étaient auparavant catholiques.
Dans la situation de plus en plus conflictuelle du pays, ils se sont présentés comme les ’sauveurs’ qui allaient amener la paix, ils ont aussi commencé à s’organiser politiquement et à agir fondamentalement de deux manières :
- Ils faisaient du ’lobbying’ : il fonctionnaient comme un groupe de pression composé d’entrepreneurs et de capitalistes protestants et dirigé par des sages ou des anciens qui tentaient d’agir sur les détenteurs d’autorité et d’influer sur les prises de décision. Ses membres faisaient les couloirs de l’Administration : c’était un rôle d’influence.
- Ils faisaient également de la politique : les élites protestantes se sont aussi présentées comme une organisation à but politique ou comme un parti politique: ces protestants visaient la conquête du pouvoir.
Deux exemples peuvent bien montrer cette démarche :
- Le pays a connu l’expression la plus marquante sous le gouvernement du général Efraim Rios Montt (1983), ancien catholique passé au protestantisme, chef charismatique de ’l’Eglise du Verbe’. Ce général se présentait lui-même comme un ’envoyé de Dieu’ pour gouverner le pays et le conduire sur la voie de la vraie foi et de la paix. Rios Montt ne voyait pas le conflit comme la majorité des militaires de l’époque, c’est-à-dire comme une lutte de deux idéologies ou de deux systèmes politiques différents mais, dans une optique religieuse : comme un champ de bataille apocalyptique entre les forces du bien et les forces du mal. Les premières incarnées dans les hommes sauvés à protestants, les autres dans les hommes du diable à catholiques révolutionnaires. Pour lui, un gouvernement aux mains d’un protestant était dans les mains de Dieu: c’était le seul moyen pour obtenir la paix. Quelques mois après son arrivée au pouvoir, l’armée, véritable détentrice du pouvoir, l’a évincé.
- Un autre phénomène illustrant bien les intérêts politiques du protestantisme d’élite c’est l’élection à la Présidence du Guatemala, le 14 janvier 1991, de Jorge Serrano El’as, entrepreneur libéral, Pasteur de la communauté ’El Shaddai’ et dirigeant du parti ’Mouvement d’Action Solidaire’ (MAS). Il s’agit de l’arrivée au pouvoir, par voie électorale, de la population protestante. Une fois à la Présidence, il a voulu moraliser le gouvernement par un auto-coup d’Etat :dissolution de l’Assemblée et de la Cour de Justice, qui échoua: l’armée l’a immédiatement destitué.
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Suite à ces phénomènes, la question qui se pose n’est pas seulement de savoir comment la religion peut-elle inspirer ou influencer l’action politique, ou comment peut-elle justifier l’utilisation de la violence, ou construire la paix. Mais c’est le statut même de la religion qui est ici questionné: comment la religion peut-elle être influencée par l’action politique, ou être utilisée par ceux qui agissent par la violence ?
La religion est-elle uniquement un élément constructeur de société ou est-elle aussi une construction de la société? La réflexion pourrait se poursuivre sur la question des conditions sociales, cognitives, symboliques, de la construction de la religion. Autrement dit, sur la façon dont la religion peut construire les croyants mais aussi sur la façon dont les croyants peuvent eux-mêmes la construire.
Grâce aux hommes religieux elle révèle sa double fonction: les dieux peuvent être nous créateurs mais ils peuvent aussi être nos créatures.
Fiche réalisée dans le cadre de l’atelier sur ’ Religion et Paix ’, La Haye, mai 1999
Texte original
Centre de Recherche sur la Paix - Institut catholique de Paris - 21 rue d’Assas, 75006 Paris FRANCE- Tel 33/01 44 39 84 99. - France - www.icp.fr/fasse/crp.php