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La position de l’Eglise guatémaltèque vis-à-vis de l’Etat pendant la guerre civile 1960-1996

Henri BAUER

04 / 1999

Alors que le christianisme est tenu pour une religion de paix, comment l’Eglise catholique se place-t-elle lorsqu’elle doit réaliser sa mission dans un contexte de guerre civile ? Peut-elle toujours rester ’politiquement neutre’ ? Comment la place qu’elle occupe dans la société exprime-t-elle déjà sa position conceptuelle, pastorale, politique?

Entre les deux Conférences de l’ Episcopat latino-américain: de Medellin, Colombie, en 1969 à Puebla, Mexique, en 1979, qui marquent l’option préférentielle pour les pauvres de l’ Eglise latino-américaine, de nombreuses congrégations de religieuses et de religieux, de nombreux prêtres diocésains et des évêques guatémaltèques se sont mis à travailler auprès des populations les plus démunies.

Dans un pays à gouvernement autoritaire ces populations trouvaient, dans le religieux, un lieu de rassemblement et d’organisation sociale. L’ Eglise remplissait un rôle social important par absence d’autres institutions et d’autres espaces. Le religieux faisait irruption dans le social et vice-versa.

Le clergé s’est donc approché de cette population pour la conduire tout en se laissant lui-même conduire, il a soutenu des mouvements des ouvriers, des paysans, des indigènes: l’Eglise se voulait solidaire de tous ceux qui souffrent.

Dans les campagnes, des prêtres et des religieux faisaient aussi du travail social : adductions d’eau potable, organisation de coopératives, alphabétisation, construction de routes et, avec cela: formation de leaders et organisation sociale.

Les mouvements et les organisations contestataires qui, à la fin des années 1970, se rebellaient et se battaient contre le régime politique trouvèrent, dans les communautés catholiques rurales et auprès des leaders chrétiens, une base considérable de soutien social.

Pour le gouvernement, exercé par l’armée nationale, l’Eglise était devenue une importante force d’opposition qui avait des liens trop étroits avec les mouvements de protestation sociale et même avec la rébellion armée.

La répression contre la population rebelle est devenue aussi répression contre l’Eglise. Des graffiti sur le murs disaient ’soyez patriote, tuez un prêtre’. Des fidèles, des communautés de base, des catéchistes, des religieuses et des religieux, des prêtres et des évêques furent persécutés et quelques-uns furent même assassinés.

Les chrétiens, avec la Conférence Episcopale en tête, étaient persuadés que, en affrontant la ’situation structurale de péché’, ils accomplissaient leur mission. Persécution et assassinats de chrétiens furent interprétés par eux comme une expérience de ’martyre’ qui leur donnait des forces nouvelles pour continuer à dénoncer le péché structural et à lutter pour la libération.

En 1981, dans une Lettre Episcopale : ’ Para construir la Paz ’ (Pour construire la paix), les Evêques affirmaient que la répression militaire et le massacre de la population n’amèneront pas la paix, qu’il fallait transformer le régime pour que la société ait accès au pouvoir. Ils soutenaient que les conflits pouvaient être résolus, mais qu’il fallait arrêter ’la violence de ceux qui possèdent la richesse et le pouvoir’ pour amorcer une ouverture politique et une démocratisation nécessaire et urgente. Autrement, proclamaient-ils, la répression ’ne fera que pousser des milliers de Guatémaltèques à se convertir en collaborateurs des mouvements subversifs armés’.

En 1982, les Evêques condamnèrent la stratégie militaire de massacrer les Indiens, dénonçant cette entreprise comme génocide.

En 1988 ils publièrent une nouvelle lettre : ’El Clamor por la Tierra’ (La Clameur pour la Terre)dans laquelle ils condamnaient le régime économique, le monopole de la propriété privée et la détresse insupportable de la majorité de la population en appelant à une réforme agraire urgente.

Au début des années 1990, une fois les dictatures militaires remplacées par des autorités civiles élues, le gouvernement présentait la situation générale du pays comme étant sur une évolution politique positive. La Conférence Episcopale, elle, continuait à dénoncer ’ la souffrance des faibles et la domination des puissants ’.

Mots-clés

communauté religieuse, conflit, Etat, guerre civile, paix, religion et politique, religion et société


, Guatemala

Commentaire

La position de chacun des deux acteurs, l’Eglise et l’Etat, reflète bien la démarche fondamentale de l’époque: le clivage bipartisan. Chacun faisait une lecture dualiste de la réalité en se plaçant du bon côté tout en plaçant l’autre du côté des méchants : la société était conçue, en fait, comme l’affrontement de deux forces opposées.

Alors que les deux parties prônaient la paix comme l’un de leurs objectifs ultimes, les moyens mis en place se sont révélés d’une ambiguïté manifeste, avec des réussites mais aussi avec des effets pervers. D’une part, par la contradiction entre les intentions officiellement pacifiques du gouvernement et l’utilisation de la violence comme moyen pour imposer sa paix. D’autre part, par le paradoxe entre la volonté de participer à la construction d’une société pacifique de la part de l’Eglise et son agressivité vis-à-vis des décideurs et des constructeurs de société.

Ce qui peut faire l’objet d’une analyse ultérieure, ce n’est pas seulement le discours et les positions prises par cette Eglise en ce qui concerne la paix mais, d’abord, sa situation fondamentale au sein de la société: comment se situe-t-elle dans les débats sociaux et dans la construction des sociétés.

Notes

Fiche réalisée dans le cadre de l’atelier sur ’ Religion et Paix ’, La Haye, mai 1999

Source

Texte original

Centre de Recherche sur la Paix - Institut catholique de Paris - 21 rue d’Assas, 75006 Paris FRANCE- Tel 33/01 44 39 84 99. - France - www.icp.fr/fasse/crp.php

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