04 / 1999
D’une rencontre à un projet partagé
Le Grdr, Groupement de recherche et de réalisation pour le développement rural dans le tiers-monde, est né en 1969 de la rencontre entre des immigrés sahéliens issus du monde rural et des techniciens agronomes français ayant une longue expérience en Afrique de l’Ouest. Cette rencontre, d’abord construite autour de convictions politiques humanistes, d’une affinité commune pour le pays d’origine des migrants et d’une volonté partagée de contribuer à son développement, n’aurait pas connu la vitalité qui est la sienne depuis presque trente ans si elle n’avait pas également été nourrie par la curiosité et l’envie de découvrir l’autre : le découvrir en tant que porteur d’une culture riche d’enseignements bien sûr, mais aussi et peut-être surtout de le découvrir en tant que personne humaine, avec laquelle des relations de confiance peuvent durablement s’instaurer. Combien de migrants côtoient-ils le Grdr depuis maintenant 10 ans, 15 ans, voire plus pour certains ? Combien de migrants ont-ils travaillé au sein de notre équipe ? Et n’avons-nous pas eu, pendant quelques années, un intellectuel malien comme président de notre association. Ensemble, les fondateurs du Grdr se sont donnés un but commun, inscrit dans l’article 1 des statuts : "assurer le développement le plus rapide possible du milieu rural [... ], ce développement devant être assuré essentiellement par le milieu lui-même". Sans une connaissance fine de la société d’origine, sans s’employer de toutes ses forces pour qu’un dialogue, le plus équitable possible, soit instauré entre les représentants de deux cultures en contact, il ne peut y avoir de projet de développement partagé.
C’est de cette conviction que les premiers membres du Grdr sont partis à la "rencontre" des immigrés africains sur leur lieu de vie que sont les foyers de travailleurs migrants. Animant sur place des formations agricoles, donnant des cours d’alphabétisation, appuyant les migrants dans leur démarche de projet de développement des villages, ils ont contribué à ce que ceux qui étaient devenus leurs partenaires aient davantage d’atouts pour prendre leur destin en main. En même temps, et cela faisait partie intégrante de la démarche initiale, ils se sont donnés à eux-mêmes les moyens de les connaître et de les écouter davantage.
Dans cette prise en compte de l’autre, mentionnons les efforts entrepris, il y a dix ou douze ans, par le Grdr pour traduire en soninké et en peul les documents techniques et la formation orale. Pendant deux ou trois ans, lors de son séjour en France et avant son retour au Mali, notre ami Ibrahim Traoré s’était chargé de cette traduction avec l’appui financier du Ccfd, Comité catholique contre la faim et pour le développement.
Travailler dans l’interculturalité
Au cour de notre réflexion sur le développement rural, il y a la conviction que le contexte culturel dans lequel sont employées des compétences techniques doit être pris en compte et que les partenariats avec tous les acteurs concernés doivent impérativement être noués si l’on ne veut pas avancer tout seul.
Le développement d’une région n’est pas seulement une affaire de manque de moyens que des innovations techniques viendront pallier ; il est avant tout une histoire d’hommes, qui ont décidé de se prendre en charge et de s’organiser, à leur façon, pour avancer sur leurs deux jambes.
Issus d’une culture différente, les interlocuteurs du Grdr n’avancent pas forcément dans la même direction ni au même rythme que ce qui se pratique dans nos sociétés occidentales. Chaque culture a un système de sens qui lui est propre et qui lui sert à comprendre son environnement, à donner une raison d’être à ses pratiques et à interpréter les phénomènes nouveaux (techniques ou sociaux)que le processus de mondialisation ne manque pas de faire surgir dans les sociétés du Sud.
De ce fait, une technique mise au point par des agronomes occidentaux sera peut-être performante et valable si elle est employée par des personnes partageant les valeurs technico-scientifiques qui ont présidé à son élaboration. Mais si elle est transposée sans précautions, elle sera très fortement détournée ou rejetée dans un milieu où les systèmes de sens donnent une compréhension différente (ou une incompréhension)de cette technique.
Pour permettre aux représentants de deux cultures exogènes de travailler ensemble de façon équitable, il ne faut pas que la norme des uns s’impose à celle des autres. Car si nous sommes convaincus de notre supériorité technique, il est également certain que nos interlocuteurs sont persuadés de la plus grande efficacité des pratiques qu’ils ont héritées de leurs aînés. Pour qu’une innovation soit adaptée, qu’elle soit matérielle ou sociale, il faut nécessairement qu’elle soit réinterprétée par un système de sens différent de celui où elle a émergé. Il en résulte presque systématiquement une "dérive", c’est-à-dire un écart entre ce qui est prévu et ce qui se passe, qui est la manifestation de son appropriation par les acteurs concernés.
Ce phénomène classique peut être illustré par un exemple tiré de l’expérience du Grdr. Dans un programme de développement local mis en place dans la région de Kayes, il était prévu d’effectuer des aménagements de bas-fonds qui devaient être valorisés en culture maraîchère par des groupements de femmes. Un certain nombre de ces aménagements ont été réalisés, mais on s’est aperçu, quelque temps après, que sur ces terres fertiles ne poussait presque exclusivement que du tabac. Après enquête, il s’est avéré que cette plante était plus rémunératrice que la culture de légumes et que les hommes en avaient accaparé la production. Usant de leur droit de préséance, ils avaient pris la place des groupements de femmes dans les bas-fonds, alors que le programme avait prévu qu’elles en soient les bénéficiaires.
C’est en partant de cette vigilance vis-à-vis des écueils que recèle la pratique quotidienne de l’interculturalité que le Grdr a élaboré sa vision et sa pratique du développement. Conscient des dangers inhérents à toute tentative d’intervention directe, le Grdr ne s’engage pas directement dans des réalisations matérielles sur le terrain (aménagements hydro-agricoles, radiers, puits... ). õ cela, on substitue plutôt une logique d’appui à des projets dans lesquels le Grdr a été sollicité par des acteurs concernés (les migrants, mais aussi les villageois qui, sur place, s’organisent en associations)et autour desquels on réfléchit et on avance ensemble.
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, France
En outre, le Grdr fait un travail important en partenariat avec la migration présente en France. Ces migrants, qui possèdent pour certains les bases d’un langage commun avec les humbles techniciens occidentaux que nous sommes, servent en quelque sorte de "traducteurs" ou de "médiateurs" culturels, qui nous permettent de comprendre et de nous faire comprendre par les personnes avec lesquelles nous travaillons.
Texte original
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