12 / 1999
Arnaud de Meyer, doyen associé de l’INSEAD (Institut Européen d’Administration des Affaires)a consacré sa carrière de chercheur à l’étude de la gestion de l’innovation, et s’est notamment intéressé à la question suivante : qu’est-ce qui peut pousser de grandes entreprises à développer des réseaux internationaux de recherche et développement ? La gestion des recherches effectuées par un ensemble de laboratoires implantés un peu partout dans le monde paraît d’une telle complexité qu’il faut supposer que les entreprises y trouvent des avantages considérables.
Ces laboratoires permettent tout d’abord d’adapter les produits aux demandes locales ou éventuellement pour profiter de certaines spécificités technologiques ; c’est ainsi que Nestlé, pour développer ses recherches sur l’usage du soja dans l’alimentation, avait implanté un laboratoire à Singapour.
Les entreprises peuvent chercher à abaisser leurs coûts, en faisant par exemple réaliser leurs recherches en informatique à Bengalore (voir la fiche "Les enjeux des développements en offshore : l’exemple du software indien").
Certaines entreprises japonaises ont choisi de créer des laboratoires à l’étranger pour s’affranchir du poids des traditions et des modes de gestion caractéristiques de leur propre pays.
D’autres ont dû implanter des laboratoires à côté des entreprises de leurs clients, pour pouvoir conduire un codéveloppement (recherche en partenariat entre le fournisseur et le client).
Enfin, par le jeu des acquisitions, certaines entreprises se retrouvent propriétaires d’un laboratoire situé à l’autre bout du monde (et ne savent pas toujours qu’en faire).
Plusieurs conditions sont nécessaires pour qu’un réseau de recherche et développement fonctionne correctement.
La dissémination des laboratoires est un gage d’enrichissement par la diversité des cultures, à condition que la maison-mère résiste à la tentation de cloner tous les laboratoires sur les modèles qui lui sont familiers : il paraît beaucoup plus judicieux de nommer un directeur "indigène", qui fera en outre bénéficier le laboratoire de son réseau de relations personnelles ; c’est par ailleurs une bonne manière de découvrir la façon de travailler des entreprises concurrentes du pays concerné.
Il faut ensuite que la mission de chaque laboratoire soit bien définie : une entreprise avait acheté fort cher une licence dont elle avait besoin pour une nouvelle technologie, avant de se rendre compte que c’était un de ses laboratoires qui l’avait inventée ; personne dans l’entreprise ne se souvenait vraiment de la mission de ce laboratoire.
Le problème majeur est naturellement celui de la communication. L’une des difficultés est de permettre la rencontre entre deux temporalités très différentes, celle des laboratoires, qui peuvent avoir besoin de dix ans pour mener une étude à son terme, et celle de l’entreprise, qui se fonde sur des planifications stratégiques à trois ans : dans certaines entreprises, la "grand messe" annuelle de la présentation du budget est aussi l’occasion pour les laboratoires d’organiser des conférences sur l’avancement de leurs recherches.
D’autres lancent de grands projets internationaux, non pas parce qu’ils ne pourraient les réaliser à l’intérieur d’un seul pays, mais pour obliger les laboratoires à travailler ensemble.
Certains réseaux mettent en place des systèmes de reporting s’appuyant sur des comptes-rendus standards, très lisibles et destinés à tous les laboratoires du groupe ; d’autres préfèrent créer des événements collectifs, parfois festifs, qui favorisent la création des liens d’amitié. Rien ne vaut, en effet, le contact direct entre les chercheurs.
De nombreuses entreprises utilisent des "ambassadeurs" : il s’agit d’un chercheur ayant une très bonne connaissance de son laboratoire, un important réseau personnel mais aussi un contact facile : il travaille pendant quelques mois dans le laboratoire d’accueil mais doit aussi diffuser de l’information sur son propre laboratoire. Le contact peut ensuite se poursuivre sur support électronique par exemple, mais des études ont montré que l’efficacité du réseau diminuait très vite dans le temps et qu’il était nécessaire de le réactiver au moins tous les deux ans ; même les vidéoconférences ont quelque chose d’artificiel qui rend la communication beaucoup plus formelle que lors du contact direct.
Les laboratoires doivent également apprendre à tirer parti des savoirs accumulés par les fournisseurs avec qui ils pratiquent le codéveloppement. Une entreprise française avait soumis un problème assez complexe à son fournisseur, et à sa grande surprise, celui-ci lui avait donné la solution au bout de trois jours seulement : le fournisseur s’était aperçu, grâce à une base de données internationale qu’il gérait en interne, qu’une filiale de la même entreprise, implantée aux Etats-Unis, lui avait déjà soumis le même problème.
recherche, changement technologique, échange de savoirs, entreprise, information scientifique, innovation, valorisation des acquis de la recherche, recherche et développement
, France,
Lors du débat, l’orateur a expliqué qu’un laboratoire était beaucoup plus qu’un lieu où l’on fait de la recherche : "c’est plutôt le dépôt du savoir-faire qui se forme autour de lui, chez les fournisseurs, chez les clients, dans les universités". Mais ce savoir-faire ne se capte pas mécaniquement : il ne peut passer que par le relais humain, le contact direct. J’avais déjà été frappée par l’importance que revêtait, chez Renault, le support "humain" des savoirs circulant dans l’entreprise, dans une situation où l’on n’a que peu de temps pour capitaliser et encore moins pour consulter la documentation accumulée (voir la fiche "Capitaliser les savoirs dans une organisation par projets"). On a parfois l’impression que deux hommes qui se rencontrent quelque part sur la planète, c’est bien peu de choses par rapport aux tonnes d’informations qui circulent sur Internet ; mais c’est peut-être bien plus efficace ?
Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,… ; Articles et dossiers
DE MEYER, Arnoud, PARIS, Thomas, Gérer la RD en réseaux - séminaire 'Ressources technologiques' in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1998 (France), IV
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