On le sait, l’agriculture en France est co-gérée par l’Etat et la profession agricole. Ce système, même s’il a parfois été critiqué (et souvent à juste titre, par les syndicats minoritaires), reflète tout de même un bel exemple de prise en main de son destin par toute une profession. Sans prétendre à sa reproductibilité immédiate, il a paru souhaitable de retracer, à l’intention de mouvements paysans d’autres pays (et, pourquoi pas, à l’intention des plus jeunes agriculteurs français)l’histoire de cette structuration originale, qui débute voilà plus d’un siècle. Pour plus de clarté dans l’exposé, le livre est découpé en grands thèmes : syndicalisme, coopération, crédit, mutualisme, vulgarisation, négociations de la politique agricole.
Dès 1881, le gouvernement de la Troisième République a créé un Ministère de l’Agriculture, prouvant ainsi l’intérêt stratégique de ce secteur pour l’Etat. Mais les agriculteurs, en parallèle, commencèrent à créer leurs propres syndicats : d’abord tenus par des notables, ils ont progressivement (à mesure que les ruraux accédaient à la formation)été pris en mains par les agriculteurs eux-mêmes. Au départ, des syndicats par branches de production (vigne, blé...), puis des syndicats plus transversaux dans les années 20, notamment sous l’impulsion d’ecclésiastiques progressistes dans l’Ouest de la France. Différents syndicats, en fonction d’options politiques rattachées aux grands partis du moment, voient alors le jour. Dans le même temps (1924), l’Etat crée les chambres d’agriculture, composées uniquement de professionnels agricoles, et jouant le rôle "d’organes consultatifs et professionnels des intérêts agricoles de leurs circonscriptions". C’est ensuite sous le régime de Vichy (1940)que l’Etat instaure un syndicat unique, défendant la "troisième voie" : le corporatisme, entre le tout marché et le tout Etat. Cette unicité prévaudra même après la guerre, avec la création de la FNSEA (et de sa branche jeune : le CNJA)qui dominera le syndicalisme agricole durant près de 40 ans. Dans les années 60, émergent alors des syndicats minoritaires, souvent liés eux aussi à des courants politiques : MODEF (Parti Communiste), FFA (très à droite), FNSP (socialiste), etc., mais les chambres resteront encore longtemps dominées par la FNSEA.
Parallèlement à cette mouvance syndicale, les agriculteurs montent progressivement un fort mouvement coopératif, dont les embryons sont à rechercher dès la deuxième moitié du XIXème siècle. D’abord spécialisées par branches de production, certaines coopératives deviennent polyvalentes, et s’associent même à des capitaux privés pour former des sociétés anonymes. Aujourd’hui, les 3800 coopératives agricoles françaises contrôlent plus de la moitié de la production du pays. La croissance exagérée de certaines d’entre elles a toutefois entraîné des déviations par rapport aux statuts originels et la vigilance des sociétaires s’impose à tout moment pour conserver cet esprit coopératif. A souligner que l’Etat, sans s’immiscer dans la gestion de ces coopératives, a légiféré dès 1906 sur leur statut, et les a par la suite appuyées, notamment par le biais de subventions ou d’exonérations de taxes (notamment de l’impôt sur les sociétés).
C’est également vers la fin du XIXè que commencent les premières expériences de crédit : en 1885, dans le Jura, des agriculteurs mettent leurs capitaux en commun, soutenus par quelques notables locaux progressistes, et fondent la première caisse locale de crédit mutualiste. Là aussi, la législation suit rapidemment, reconnaissant et autorisant les caisses locales, puis régionales (1899), et enfin la caisse nationale (1920): cette caisse nationale (publique)est chargée d’exercer une fonction de tutelle et de contrôle de l’ensemble du système des caisses locales (privées). Ce n’est qu’en 1988 qu’elle sera privatisée. Deux leçons à retenir de cet historique : la construction progressive et pragmatique du système du crédit agricole, de la base vers le sommet; l’aide importante de l’Etat (financière et législative).
La mutualité agricole se développe aussi au XIXème : les agriculteurs fondent des groupes d’entraide et de solidarité pour pallier les aléas (climatiques, sanitaires, etc.)de ce dur métier. Dès 1900, la loi statut sur les "sociétés collectives agricoles", qui jusqu’alors fonctionnaient, mais dans l’illégalité : une fois encore, le fait a précédé le droit. Petit à petit, la loi oblige les salariés, puis les agriculteurs, à être assurés, et en 1960, la Mutualité sociale agricole (MSA)est créée, guichet unique qui regroupe l’ensemble des prestations sociales des exploitants et salariés agricoles.
Le système de vulgarisation a suivi des chemins similaires : d’abord prise en charge des activités de formation par des petits groupes d’agriculteurs (CETA, CIVAM..), qui se fédèrent ensuite, et sont reconnus comme interlocuteurs de l’Etat, et de la Recherche agricole. Puis mise en place de services de vulgarisation au sein des chambres d’agriculture, qui gèrent également une grosse partie du budget du développement agricole. Ce développement est financé pour un tiers par des cotisations directes des agriculteurs ; pour un tiers par les taxes parafiscales, et enfin par les sources propres des Chambres. Ce système est en place depuis 1966, date à laquelle l’Etat a confié officiellement à la profession la co-gestion du développement agricole, via les Chambres d’Agriculture.
organisation paysanne, agriculture, organisation syndicale, politique agricole, histoire du développement, développement rural, crédit rural, système d’épargne et de crédit, vulgarisation agricole, système coopératif, coopérative agricole
, France
Pari difficile celui de vouloir expliquer à la fois la genèse du système agricole français et sa composition actuelle. Mais pari tenu, grâce à ces nombreuses références historiques et ces exemples relatés au long de l’ouvrage. Un regret cependant : l’absence d’un organigramme synthétique sur l’organisation actuelle. Mais il est vrai que l’objectif était plus dans le récit d’une démarche que dans la description d’un modèle à suivre. Quelle utilisation de ces parcours pourront faire les mouvements paysans émergents au Sud ? Pour ma part, je retiendrai la construction progressive de l’ensemble de ce système, depuis la base vers le sommet, et la prise en charge du développement par les paysans eux-mêmes : exemple à méditer pour les "développeurs" de tout poil qui prétendent souvent plaquer des modèles d’organisations au mépris des dynamiques endogènes, nécessairement plus longues mais ô combien durables.
Livre
LEBOT, Médard; PESCHE, D. (coord.), FPH in. Dossier pour un débat, 1998 (France), n° 88
GEYSER (Groupe d’Etudes et de Services pour l’Economie des Ressources) - Rue Grande, 04870 Saint Michel l’Observatoire, FRANCE - France - www.geyser.asso.fr - geyser (@) geyser.asso.fr