L’expérience du Centre Universitaire de PHArmacopée et de MEdecine TRAditionnelle à l’Université nationale du Rwanda à Butare
Tien NGUYEN NAM, Georges THILL
10 / 1998
L’expérience du CURPHAMETRA s’appuie sur des connaissances et des savoir-faire traditionnels et locaux de la médecine rwandaise pour développer une recherche-action interdisciplinaire menée en dialogue permanent avec des tradithérapeutes engagés sur le terrain. Cette démarche, dépassant la manière universitaire classique de fonctionnement, s’est efforçée d’ aboutir à une production-commercialisation de médicaments connus et nouveaux, grâce à une organisation des activités en réseau.
Cette structuration rend ainsi possible à la fois des formations universitaires et des échanges de compétences socio-techniques différentes à travers une combinaison et un dépassement du clivage tradition/modernité, et une coopération Nord-Sud, Sud-Nord et Sud-Sud.
Pendant ses cinq premières années de fonctionnement, le centre ne disposait, comme seule ressource financière, que des possibilités offertes par le maigre budget de fonctionnement de l’Université nationale du Rwanda à Butare. Pourtant il a pu, en moins de vingt ans, innover en médicaments humains et vétérinaires et en pesticides biodégradables en partant uniquement de ressources locales renouvelables.
Le centre s’est doté d’un dispensaire de médecine traditionnelle, d’un programme interdisciplinaire de recherche et d’une unité pilote de production de médicaments dérivés de plantes médicinales. Un dialogue permanent a été instauré au dispensaire entre les médecins et les tradipraticiens de la santé, qui, au terme de longs contacts et de dures négociations, ont accepté d’exercer leur activité au dispensaire à condition de disposer de locaux à eux et de travailler en pleine indépendance par rapport aux médecins.
Les scientifiques (pharmacologues, chimistes, botanistes, médecins, agronomes, économistes, ethnologues, anthropologues)sont très bien insérés dans la région. La proximité avec la population leur permet de saisir, presqu’au jour le jour, les demandes et les attentes pressantes qui émergent ou perdurent dans le domaine de la santé. Ce qui s’est concrétisé sur le plan universitaire dans des thèses de doctorats originales défendues dans des universités du Nord (par exemple, Leiden aux Pays-Bas).
Une quinzaine de nouveaux médicaments (antitussifs, antispasmodiques,anti-inflammatoires, antigale, antifongiques...)ainsi qu’un nouveau pesticide pour lutter contre la bactériose de la pomme de terre sont, après vingt années, déjà commercialisés à travers le pays. De surcroît, ils suscitent l’intérêt des pays voisins comme des firmes multinationales (la sympathie de ces dernières est un incontestable test de la valeur de la recherche et de la production, mais pose rapidement des problèmes multiples dont la politique d’indépendance économique et de gestion des ressources).
Valoriser les connaissances ancestrales ; limiter l’importation des médicaments avec, comme corrollaire, la réduction de la charge de la dette extérieure du pays, un des plus pauvres du monde ; créer des petites et moyennes entreprises et des emplois ; rendre les produits directement accessibles aux populations concernées : tels sont les facteurs qui ont non seulement conduit les autorités du pays et les décideurs à reconnaître le bien-fondé de la production en matière d’utilité économique et sociale, mais aussi les ont encouragés à prendre des mesures nécessaires dans le domaine de l’aménagement du territoire et de la gestion du patrimoine naturel et culturel, pour protéger et valoriser de manière durable l’écosystème global, en prenant conscience du service qu’ils rendaient au bien-être de la planète.
On a trop oublié, y compris dans les institutions universitaires et de recherche, que les plantes médicinales et les produits naturels ne cessent de remplir un rôle déterminant en médecine. Un quart des médicaments modernes contiennent des extraits de plantes médicinales. Proportion qui, aux Etats-Unis en 1980, représentait huit milliards de dollars, rien que pour les médicaments prescrits. On note par ailleurs que l’accent est remis au Nord, sur le plan de la recherche et du développement de nouveaux médicaments, sur les plantes médicinales : seulement un dixième des plantes connues ont fait l’objet de recherches biomédicales, comme le faisait apparaître le symposium international : "Tropical Forest Medical Resources and the Conservation of Biodiversity", New York, janvier 1992, dont l’organisation était réalisée par Rainforest Alliance’s Periwinckle Project et New York Botanical Garden’s Institute of Economy Botany.
santé publique, médecine traditionnelle, stratégie alimentaire, recherche action, valorisation des acquis de la recherche, enseignement supérieur
, Rwanda, Butare
L’expérience du CURPHAMETRA est d’un grand intérêt dans la mesure où elle met en évidence l’importance des recherches en matière de plantes médicinales - développements basés sur des molécules de plantes connues - ainsi que les innovations technologiques, la production et la commercialisation qui en découlent. Cette expérience est aussi le résultat de multiples processus de mise en réseaux associatifs, le CURPHAMETRA étant lui-même un noeud de réseaux de réseaux.
Concrètement, une série d’effets réseaux sont à l’oeuvre dans la réussite du CURPHAMETRA : le pouvoir d’action interdisciplinaire de production de savoirs et de technologies combinés, la formation mutuelle requise au niveau de cette production, notamment dans le dialogue entre médecins et tradithérapeutes, et le rapport de force à établir lors des diverses négociations du processus de recherche-développement-production-commercialisation, entre autres pour obtenir l’implication effective des autorités ministérielles en faveur d’un enjeu déterminant par rapport à l’essor interne et externe du pays.
Ce document s’inscrit dans la philosophie de l’ouvrage et, en particulier, dans les études de cas de : THILL Georges et WARRANT Françoise ; "Plaidoyer pour les Universités citoyennes et responsables" ; P.U Namur/FPH ; collection Prélude ; 1998.
Rapport
THILL, Georges (sous la direction de) (France)
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