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Comment se construit à chaque rencontre le pouvoir de convocation radicalement différent d’un simple pouvoir financier ou institutionnel

Comment peut-on parler d’un pouvoir de neutralité ?

Sophie LECRUBIER

09 / 1998

Pour qu’une rencontre se passe il faut que quelqu’un l’aie accueillie, que les invités souhaités aient été d’accord pour venir et, dans la plupart des cas, que les expériences de chacun à mettre en discussion aient été effectivement recueillies. Chacun de ces aspects suppose un accord implicite ou explicite et celui-ci ne peut être obtenu qu’à la condition qu’un pouvoir de convocation s’exprime.

Comment se construit ce pouvoir de convocation lorsqu’il n’est pas basé sur l’intérêt matériel (argent versé aux conférenciers), sur l’intérêt direct (conférences d’universitaires, chercheurs, entreprises), sur l’intérêt touristique ou symbolique du lieu de conférence, ou sur le pouvoir quasi hiérarchique et statutaire (convocation des partenaires financiers)?

Le défi est d’autant plus grand que convoquer c’est prendre du pouvoir sur les autres. La réponse est à trouver au cas par cas mais la question est bien présente en amont de toutes réunions ou rencontres. Prenons l’exemple des conférences de Paix organisées par la FPH : ce sont des rencontres associant des personnes divisées, voire totalement opposées, et il s’agit de les amener à accepter le dialogue.

La conférence de Mombasa en septembre 1993 réunissant les forces sociales et politiques du Rwanda est un exemple intéressant en la matière : Nous savions, nous explique Pierre Calame, président de la FPH, que quelque chose de grave se préparait au Rwanda. Un accord était intervenu entre les forces armées en conflit et il fallait transformer un cessez le feu en dialogue. Un soutien par la FPH était d’autant plus intéressant que contrairement aux Etats, elle n’avait pas de pris parti. De fait, elle était un " non pouvoir ", un lieu neutre. Pourtant elle n’avait ni la notoriété, ni le prestige moral pour être reconnue comme puissance invitante, d’autant qu’elle n’était pas connue des participants, mais aussi parce qu’elle n’était pas africaine. Or, d’une part, aucun des partis en présence ne pouvait " inviter " sans susciter immédiatement la méfiance des autres, et d’autre part, la rencontre ne pouvait pas avoir lieu au Rwanda ou elle aurait été sous influence !

Il a fallu plus d’un an pour résoudre le problème. Finalement, c’est la Conférence des Eglises de Toute l’Afrique (CETA)qui a été agréée par tous, quoique représentante de l’église protestante. La rencontre a en outre été placée sous l’autorité morale de Desmond Tutu et le lieu de Mombasa a reçu l’agrément de tous. La FPH et la CETA se sont mises d’accord pour que la CETA convoque et toutes les tendances ont accepté de participer. C’est à cause de l’intérêt de cette rencontre que le Premier ministre intérimaire du Rwanda, après le génocide, est venu trouver la FPH pour lui dire que la solution était de repartir dans l’esprit de Mombasa. Aussi en octobre 1994 la FPH a organisé, conjointement avec le CCFD, le gouvernement rwandais et des ONG rwandaises le séminaire " Rwanda- reconstruire " à Kigali. Le pouvoir de convocation du côté rwandais relevait des suites de Mombasa, mais se posait le problème du pouvoir de convocation des invités non rwandais. En effet, l’enjeu de la rencontre était d’apporter aux Rwandais une expérience historique venue des différents continents et correspondant à leurs propres défis. La FPH a pu dans un délai de un mois, à la fois convaincre des participants de trente pays de venir au séminaire et réunir plus de quatre-vingt expériences. De fait, il fallait un pouvoir de convocation très frappant.

Sur quoi repose ce pouvoir ? Selon Pierre Calame il repose sur quatre ingrédients. Dans l’exemple choisi il est indéniable que l’émotion est un composant essentiel, le génocide avait frappé le monde entier et l’idée de rendre service parlait au cour de tous. Un autre ingrédient est celui que l’on pourrait qualifier d’effet de réseau ; dans l’exemple choisi la CCFD et la FPH avaient chacune un réseau de partenaires permettant d’identifier les invités et de choisir les expériences les plus utiles. De là un nouvel ingrédient se greffe aux autres, c’est ce que Pierre Calame appelle l’ " effet de chaînage ". Beaucoup des contacts se sont passés indirectement et donc par le biais de partenaires qui se devaient d’être, et ont été, garants du sérieux de la FPH. Enfin dernier ingrédient, mais pas le moindre, l’effet de séduction : la méthodologie proposée par la FPH plaisait et paraissait bien adaptée à la situation (il s’agissait de demander à chacun de témoigner de son expérience en s’interdisant de donner quelques conseils que ce soit aux Rwandais).

Il n’est pas toujours possible de réunir tous ces ingrédients à la fois. Il y a des cas où le fait de convoquer à une rencontre est considéré comme une prise de pouvoir. La FPH, en avril 98, a invité les partenaires des différents programmes de la Fondation pour réfléchir à l’avenir du monde rural européen. Certains partenaires proches du monde agricole et qui avaient déjà pris des initiatives dans ce domaine ont vécu cette invitation comme un désaveu et comme une récupération de leurs initiatives, alors que l’objectif de la FPH était d’élargir la démarche.

Mots-clés

méthodologie


, France, Rwanda

Commentaire

Les différentes facettes du pouvoir de convocation sont à travailler au cas par cas et la capacité à financer une rencontre n’est qu’un aspect parmi d’autres. Le choix de " qui " organise, qui invite, a une énorme portée symbolique et doit être cohérent avec les objectifs de la rencontre.

Le pouvoir de convocation est à distinguer du pouvoir institutionnel et financier. Lorsqu’il s’agit de créer des espaces de dialogue on peut presque parler de pouvoir de " non pouvoir ". N’y a t-il pas aussi un pouvoir du rêve ? Prendre l’initiative d’une rencontre c’est aussi rêver qu’elle soit possible.

Notes

Cette fiche a été réalisée à partir d’un entretien avec Pierre Calame.

Entretien avec CALAME, Pierre

Source

Entretien

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