Arguments pour un programme démocratique de revitalisation de la citoyenneté
04 / 1999
Le libéralisme est une théorie "faible" de la démocratie, basée sur la seule légitimité de la défense de l’intérêt privé, au service exclusif de l’individualité, reposant sur la représentativité de la population par les élus. De ces fondations précaires, nulle théorie durable alliant citoyenneté, participation, intérêt public ou vertu civique ne peut émerger. Les pathologies de l’ère politique moderne - toutes les formes de totalitarisme - sont les fruits des insuffisances de cette démocratie faible plutôt que ceux de l’habileté de ses opposants.
La démocratie forte est une forme moderne de démocratie participative. C’est une société gouvernée par ses citoyens, non par le gouvernement qui les représente. Elle repose sur l’idée d’une communauté de citoyens auto-gérée, unis par leur éducation (plus que par une supposée convergence d’intérêts), mis en condition d’établir des objectifs et des actions en commun au nom d’une vision civique de la société (plus qu’en fonction de leur altruisme ou de leur bonne nature), grâce à des institutions (comprises dans le sens général de formes d’organisation collectives, une association étant une forme d’institution)favorisant la participation.
Une communauté privée de participation ne fait qu’ouvrir la porte au collectivisme. Une participation sans communauté est synonyme d’individualisme auquel on donne un air de démocratie. Mais la dialectique entre participation et communauté n’est pas facile à institutionnaliser. L’action civique individuelle (la participation du citoyen)et l’association publique (la communauté)se réfèrent à deux mondes différents : d’un côté, celui de l’autonomie et de l’action, de l’autre, celui de la sociabilité et de l’interaction. Conjuguer l’individuel et le collectif est une tâche difficile pour les institutions.
Pour répondre aux enjeux de la démocratie forte, les institutions doivent répondre à certains critères : elles doivent être fonctionnelles, c’est-à-dire inspirées par l’expérience politique concrète, et compatibles avec les institutions existantes ; elles doivent prévenir les abus éventuels d’une majorité gouvernant au nom de la communauté, protéger les individus et les minorités ; elles doivent dépasser les obstacles à la participation (problèmes d’échelle, technologie, complexité structurelle, esprit de clocher)afin de mettre en uvre un gouvernement des citoyens qui remplace l’État des professionnels.
Des propositions concrètes peuvent être formulées pour faire naître et fonctionner ces institutions :
- système national d’assemblées de quartier prenant progressivement une compétence législative ;
- coopérative réglementant l’usage civique des technologies de la communication ;
- garantie d’accès de tous les citoyens aux informations et à l’éducation civique ;
- décriminalisation et justice confiées aux citoyens engagés et responsables ;
- processus d’initiative populaire et de référendums utilisant le choix multiple ;
- expérimentation du suffrage électronique ;
- attribution par tirage au sort des fonctions locales rémunérées ;
- meilleur accès des citoyens à l’éducation ou au transport par l’expérimentation de bons d’État destinés aux usagers et par l’ouverture de ces services à la concurrence.
- création d’un service citoyen universel et d’une branche militaire ouverte aux hommes et aux femmes ;
- parrainage public de programmes locaux de volontariat consacrés à l’action commune ;
- soutien public des initiatives de démocratie sur le lieu de travail, sur le modèle du mouvement coopératif, du partage des décisions, de l’intéressement des salariés aux bénéfices, etc.
- prôner une architecture urbaine donnant à la citoyenneté sa demeure physique et répondant aux besoins du dialogue et à la vie sociale notamment en favorisant la vie des quartiers.
Ces propositions, expliquées et détaillées dans l’ouvrage, constituent un programme démocratique fort pour une revitalisation de la citoyenneté. Pour éviter les risques inhérents à tout changement radical de système politique, il est proposé de les introduire dans le système existant sans rien en retirer. Une véritable démocratie forte passerait sans doute par la suppression des partis, de la représentation ou de la séparation des pouvoirs, mais le démocrate prudent préférera réformer en instillant plus de participation et favoriser ainsi des évolutions progressives. La prudence et la tempérance sont parmi les qualités du démocrate.
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La notion de démocratie forte est pour le moment une "utopie réaliste" : utopie, car elle est une vision de l’esprit, inspirée par la pensée philosophique de l’auteur et les enseignements de la politique, qui n’a pas encore trouvé de concrétisation ; réaliste, car elle se veut pragmatique et susceptible d’être concrètement mise en uvre sans qu’il soit besoin pour autant de changer profondément la nature des hommes (même si une certaine dose d’éducation citoyenne semble indispensable pour rendre crédible le fonctionnement du système)... Et même si, quoi qu’en dise l’auteur, le projet n’est pas exempt d’un certain idéalisme, il donne matière à réflexion.
Cependant, par ses références fréquentes aux grands penseurs de la chose publique, de Platon à Habermas en passant par Rousseau et Toqueville, par la complexité de l’argumentation et par le manque d’exemples concrets, cet ouvrage de réflexion s’adresse à des lecteurs quelque peu familiers de la théorie politique ou au moins à l’aise avec le maniement de ses concepts. C’est dommage : une version accessible au plus grand nombre serait fort utile pour encourager les comportements citoyens que l’auteur appelle de ses v ux.
Livre
BARBER, Benjamin, Démocratie forte, Desclée de Brouwer, 1997 (France)
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