Eléments pour une conduite stratégique de la paix
04 / 1999
La fin de la guerre froide inaugure une ère nouvelle pour les sociétés. Les États-Unis dominent le monde et proposent comme mode de régulation des conflits armés, sans le dire vraiment, une solution imparfaite, égoïste et fondamentalement insatisfaisante : la "pax americana", la paix par l’empire. Quant aux sociétés d’Europe de l’Ouest, de plus en plus sécuritaires, connaissant la tranquillité sur leur sol depuis plus de 50 ans, elles sont de plus en plus inaptes à la gestion des conflits. Elles proposent de fait la "paix par défaut", imparfaite elle aussi car la guerre a tôt fait de nous rattraper, que ce soit sur nos écrans ou parce qu’elle se rapproche dangereusement de nos frontières.
Il faut chercher une troisième voie et nous doter d’une conduite stratégique de la paix : c’est le réalisme pacifique, une approche pragmatique qui se distingue du conformisme du pacifisme bien-pensant.
Qu’est ce que la conduite stratégique de la paix aujourd’hui ? Elle peut se traduire par des man uvres politiques, par le désarmement ou par les opérations de paix.
La man uvre politique est illustrée par exemple par l’action engagée par la France à partir de 1990 pour faire de l’ONU l’outil efficace d’une diplomatie mondiale à laquelle le pays apportera son bras armé. Cela se produit à un moment ou les États-Unis hésitent sur leur conduite à tenir dans l’après-guerre froide. Cela conduit à l’intervention en Bosnie, où les forces de paix s’enlisent et sont manipulées par les belligérants et les factions locales. L’échec de cette expérience a mis en évidence le manque de moyens de l’ONU, la rivalité persistante des États et leur égoïsme, l’incompétence de la "société internationale de la paix" et, enfin, l’exceptionnelle responsabilité des États-Unis dont la position a été déterminante, jusque dans ses tergiversations.
Le désarmement a fait l’objet d’initiatives nombreuses, parfois spectaculaires. Mais le sentiment d’insuffisance prévaut. Parce que son objet a été de limiter la prolifération nucléaire, sans doute, alors que les armes légères et les mines antipersonnel continuent à tuer (leur potentiel est plus faible, mais dans la réalité, elles sont plus menaçantes), mais également parce que ces efforts ne s’inscrivent pas dans une stratégie de paix cohérente à long terme. En fait, les armes ne représentent pas la même valeur - offensive ou défensive - pour tous les acteurs, petits et grands de la scène internationale, et cela est à l’origine de profondes divergences de points de vue.
Les opérations de paix, c’est-à-dire les interventions de pays tiers dans un conflit, se heurtent souvent à la méconnaissance des sociétés locales dans lesquelles elles prétendent jouer le rôle de médiateur. à l’enthousiasme du début succède vite la désillusion : les troupes étrangères gênent. à une mission claire, une logistique puissante et un commandement efficace, une opération de paix réussie doit également ajouter des effectifs nombreux, un excellent renseignement humain, une grande capacité d’adaptation psychologique. Donc, du temps et de l’argent. Les résultats sont parfois positifs, mais souvent mal reconnus. S’occuper des dimensions psychologiques de l’action de paix est une condition de leur durée et de leur succès.
Et demain ? Le repli sur soi des nations (l’absence de politique extérieure convaincante)et la segmentation des sociétés constituent des facteurs de risque. Il est nécessaire de soutenir les initiatives internationales, notamment en améliorant les programmes de désarmement. Il faut soutenir les initiatives régionales de paix, grâce à des opérations de paix et à une action diplomatique permanente. Il faut maintenir la solidarité atlantique en résorbant la dépendance à l’égard des États-Unis. Il faut, enfin, faire de l’Europe une aire de paix en expansion et, aiguillonnés par la relative mondialisation, réaffirmer l’intérêt de l’union économique.
Avec quelles forces ? Le problème de la sécurité de l’Europe est double :
1. La transformation des forces nationales de sécurité intérieure en forces européenne de sécurité intérieure ;
2. La transformation des forces armées en forces de protection des frontières nouvelles, capables de satisfaire la défense de l’Europe, la stabilisation de son environnement immédiat et sa capacité d’intervention dans le monde.
C’est la politique qui créé les conditions de la guerre, pas les armes. Ce sont les hommes qui font la guerre, pas les armes. Le désarmement est nécessaire, mais il ne doit pas devenir l’arbre qui cache la forêt. Le primat du politique doit être réaffirmé. Cela ne doit pas être un prétexte pour le rien faire : si une communauté internationale entend promouvoir un idéal de paix, ce sont les pressions et les négociations politiques qui doivent être organisées. La transparence, par exemple, constitue un outil important : la diffusion des données sur le commerce des armes, les budgets de défense et même les discussions sur les doctrines militaires présentent de réels intérêts dans une optique de prévention.
La construction de la paix doit également être mieux valorisée. En Amérique latine par exemple, des man uvres de paix se sont parfois traduites par des résultats très positifs, dans la plus grande discrétion. Les médias ne s’intéressent guère à la construction de la paix. C’est fort dommage. Pourtant, le maintien de la paix, en plus de sa valeur pour le quotidien des hommes, est une condition de leur prospérité.
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Malgré un style un peu ardu qui rend difficile la lecture, cet ouvrage propose un éclairage très actuel sur nos rapports à la guerre et la paix. Ceux-ci s’enracinent dans notre histoire, mais également dans une évolution plus générale des valeurs de nos sociétés : rapport à la mort, conception de notre place dans le monde, hypermédiatisation, etc.
François Géré, docteur en histoire, est directeur scientifique de la Fondation pour les études de défense.
Livre
GERE, François, La société sans la guerre, Desclée de Brouwer, 1998 (France)
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