Benoît LECOMTE, Brigitte REY, Vincent GUELMIAN
03 / 1998
Vincent Guelmian, paysan, ex-président du CODEB (Comité d’Organisation pour le Développement de Bédogo)au Tchad, raconte son expérience et sa vision de l’aide au développement :
"Ici à Bedogo, l’aide extérieure est très nécessaire, parce que sans aide extérieure, tu ne peux pas trouver de l’eau. Et l’eau chez nous c’est un gros problème. Une seule personne ne peut pas avoir suffisamment d’argent pour creuser un puits de 80 ou 100 mètres; si il y a de l’aide extérieure, cela pourra t’aider à réaliser cela. De même, certains équipements agricoles, tels que la charrette et les chevaux coûtent de 500 à 600.000 CFA (5 à 6.000 FF). Ils te permettent de mieux travailler et de gagner plus d’argent. Sans aide extérieure, tu vas mettre trop d’années avant de pouvoir les acheter. C’est cela qui est intéressant dans l’aide extérieure.
En plus, l’aide extérieure peut aider quelqu’un à aller visiter quelque chose à plus de 100 ou 200 kilomètres, même dans un pays voisin. Tout cela c’est la preuve que l’aide extérieure est utile pour un paysan. Mais pas pour les groupes ! Ce n’est pas non plus : "pas du tout" pour les groupes parce qu’il a certaines choses qui peuvent aider le groupe, mais pour le groupe, il faut faire très attention.
Pour moi, je dis à mon frère : "Compte sur tes propres moyens beaucoup plus que sur l’aide extérieure. Si tu as ton idée seulement sur l’aide extérieure, dès que cette aide extérieure est finie, tu seras beaucoup en retard, tu vas reculer, tu ne peux pas progresser. Donc il faut progresser par toi-même avant que l’aide extérieure ne t’appuie. Car si tu ne fais pas d’effort et que tu entends seulement parler d’aide extérieure cela te détruit".
Et puis je conseille aussi aux associations de ne pas avoir l’idée de demander de volontaire car, s’il vient, tous les regards vont se fixer sur le volontaire et non pas sur l’association. Les gens se disent : "le volontaire est là, il vient pour nous partager de l’argent, il est là pour nous aider, donner tout". Ils oublient les activités de l’association. C’est pour cela que je préviens mes chers collègues paysans : il ne faut pas qu’ils aient l’idée (de s’appuyer)sur des volontaires étrangers, il faut qu’ils fassent leur association avec leurs propres moyens, leurs propres idées. Quand c’est solide, si une fois qu’un volontaire vient rester avec eux, peut-être la présence du volontaire va alors les aider.
Un autre conseil est que d’avoir du matériel agricole pour un groupe, ce n’est pas conseillé. Car le membre qui gardera, par exemple la charrette du groupe, c’est souvent lui qui en bénéficiera le plus. Ce n’est pas bon de donner une chose pour tout un groupe de personnes; même s’ils ont fait des règlements intérieurs, cela ne peut pas réussir. Beaucoup de nos CODEB locaux ont commencé à se déchirer à cause des boeufs et charrettes; donc je conseille de ne pas avoir l’idée de demander cela. S’ils en veulent, il vaut mieux demander des crédits individuels pour que chacun puisse s’équiper si il le veut; c’est mieux que d’acheter des équipements communs".
Et le voisin de M. Guelmian précise ceci :
"Il faut d’abord qu’ils travaillent pour réussir. Par exemple, si tu demandes à tes frères de venir t’aider à fabriquer des briques et que tu les laisses se détruire et se gaspiller sans faire une maison avec.... est-ce que ces gens-là vont encore venir m’aider à fabriquer des briques ? Quand quelqu’un t’aide, il faut respecter son aide et travailler avec pour réussir d’abord. Comme cela, si tu lui redemandes, il t’aidera une 2ème fois, mais si tu as gaspillé son aide, il ne t’aidera plus.
L’aide doit faire des petits : si tu reçois 10.000, tu va travailler dans le champ avec et tu pourras recevoir après 20.000, même 100.000. Mais si tu prends les 10.000 pour aller boire de l’alcool, trouveras-tu quelque chose dans l’alcool ? Il ne faut pas dépenser pour rien."
organisation paysanne, ONG, accès à l’eau, développement rural, équipement agricole
, Tchad, Bedogo
Des responsables paysans du Tchad, qui ont travaillé avec des organisations non gouvernementales (du Nord et de leur propre pays)résument les leçons de cette longue expérience : compter sur ses propres forces, s’associer pour les opérations de bien commun, se méfier des groupements quand il s’agit d’opérations économiques à rentabiliser.
[Fiche produite dans le cadre du débat public "Acteurs et processus de la coopération", appelé à nourrir la prochaine Convention de Lomé (relations Union Européenne/Pays ACP). Lancé à l’initiative de la Commission Coopération et Développement du Parlement Européen et soutenu par la Commission Européenne, ce débat est animé par la FPH.]
Entretien avec GUELMIAN, Vincent
Entretien
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