Mesurer les flux de matières et les besoins d’espace pour les produits et les services
06 / 1995
Comment tenir compte de la quantité des flux de matières utilisées pour un produit ? Et commment évaluer l’espace nécessaire pour sa production ou pour une "unité de service" ? Friedrich Schmidt-Bleek, physicien et chimiste, directeur du secteur "flux de matières et changement de structures" à l’Institut de Recherche Scientifique de Wuppertal, propose une mesure fiable, à la fois simple et complexe : MIPS : "l’intensité des matériaux par unité de service" (Material-Intensität pro Service-einheit), et FIPS : "l’espace nécessaire par unité de service" (Flächenintensität pro Service-Einheit).
Par sa double expérience d’universitaire et de conseiller scientifique au sein de l’OCDE, l’auteur sait combien il est nécessaire de trouver un concept simple et assez universel permettant aux décideurs politiques et économiques de se référer à des critères pratiques et intelligibles.
MIPS : la quantité de matériaux "utilisés du berceau à la tombe"
MIPS mesure la quantité de matériaux "consommés du berceau à la tombe (la décharge ou l’usine d’incinération)ou du berceau au berceau (parce que toutes les matières utilisées par l’homme retournent à la terre)par unité de service ou de fonction". Le MIPS permettrait d’indiquer pour chaque produit de l’industrie et pour chaque service un "sac à dos" de matières exploitées, utilisées ou jetées à certains moments de sa vie. Un kilo de platine par exemple correspond à 300 000 kilos de terres remuées. Le calcul systématique des "MIPS" pour les produits aussi bien que pour les services permettrait de distinguer entre les processus de recyclage raisonnable ou écologiquement irraisonnable. Il aiderait aussi à établir des critères par rapport aux projets à soutenir dans les programmes de Recherche Développement et dans l’aide économique au Tiers Monde ou aux Pays de l’Est.
FIPS : les besoins d’espace pour les produits et les services.
FIPS permet d’évaluer de façon simplifiée le besoin d’espace pour un produit ou un service. Des chercheurs ont calculé par exemple qu’uniquement pour satisfaire la soif des allemands en jus d’orange, il faudrait planter des orangers sur une surface couvrant tout le land de la Sarre. Pour satisfaire le besoin de café des allemands, il faut utiliser 12 000 km2 dans les pays tropicaux, ce qui correspond environ à la totalité de l’espace qui sert à la circulation routière ou à environ 90% de l’espace occupé par les bâtiments dans les vieux länder. Comme on ne peut cultiver en Allemagne ni oranges ni café, ce pays occupe, contre de l’argent comptant, une partie du Tiers Monde. Chaque allemand aurait ainsi besoin d’environ 200 m2 pour cultiver du soja (production de la viande de porc), de 150 m2 pour boire son café, et de 82 m2 pour son cacao. Et il a besoin de beaucoup d’autres choses encore... Schmidt-Bleek estime que pour couvrir ses besoins en ressources, l’Allemagne profite d’un espace qui est environ deux fois plus grand que le pays lui-même. Des estimations analogues ont été faites aux Pays-Bas où les chercheurs arrivent même à un facteur de 3 à 4.
Il faut considérer les conséquences écologiques et sociales dans les pays producteurs qui orientent leurs économies vers l’exportation : par exemple l’érosion des sols, la pollution induite par les pesticides et les engrais, la consommation de l’eau, sans oublier les aléas du commerce international qui parfois ruinent les petits producteurs. "Ne devons-nous pas penser, en buvant du cacao et en mangeant du chocolat, que la plus grande partie de l’espace de culture vivrière en Côte d’Ivoire a été perdue par ces cultures et que la population croissante de ce pays se trouve confrontée à de grands problèmes de nourriture ?" demande l’auteur. Et il exige que face à l’accroissement des populations et à la baisse des récoltes, il est indispensable de poser la question de la distribution juste des espaces.
Pourquoi introduire de telles mesures ?
L’introduction des mesures qui permettent de mieux contrôler les flux de matières et la consommation des espaces est indispensable : des signes d’alarme tels que le manque d’eau potable, l’érosion des sols et la diminution de la couche d’ozone obligent à introduire de nouveaux paramètres dans la gestion de l’économie. On sait aujourd’hui que l’utilisation croissante de grands volumes de sables, d’eaux, de toutes sortes de substances aura des conséquences en grande partie imprévisibles. Faute de pouvoir analyser la complexité de tous les processus provoqués dans l’écosphère par l’homme, la prudence demande avant tout de réduire les flux de matières. Le MIPS et le FIPS sont des indicateurs qui peuvent aider à trouver les solutions les plus économiques en termes de consommation de matières et d’espaces.
Le bien-être matériel dans les pays industrialisés est à l’origine d’environ 80 % des flux de matières causés par les activités économiques, et la pollution induite par les hommes de l’OCDE est 15 à 30 fois plus élevée que celle des hommes vivant dans certaines parties du Tiers Monde.
Il est vrai que la complexité des processus induits rend la tâche très difficle pour les acteurs. Les meilleurs scientifiques ne sauraient prédire les synergies et les antagonismes à moyen et à long termes des cent mille substances produites par l’industrie, et encore moins analyser les effets des cent à deux cent mille autres substances libérées dans des émissions diverses et les eaux usées. S’il est tout à fait normal que les experts débattent des hypothèses très différentes, l’ennui est que ceux qui ont la faveur des lobbies industriels se font beaucoup mieux entendre. A côté des découvertes concernant par exemples les effets du CO2, des CFC ou encore des PCCD et des PCB, il faudra probablement s’attendre à d’autres surprises désagréables.
Selon l’avis des experts de l’Institut Wuppertal, il est techniquement possible de diminuer, au cours de quelques décennies, le flux de matières dans notre économie occidentale d’un facteur dix ou plus, d’une part en améliorant les technologies existantes, d’autre part en développant des procédures, des installations, des services tout à fait nouveaux. Cependant, l’indispensable voie technique vers une économie soutenable, est insuffisante. Elle doit être complétée par une nouvelle culture transmettant une autre notion de bien-être. "Dans les pays où les hommes satisfont leurs besoins fondamentaux sans la lutte quotidienne pour la survie, il faut que se développe un déplacement de la consommation des biens matériels vers des biens non matériels," conclut l’auteur.
développement durable, gestion des ressources naturelles, recherche
, Allemagne
Villes et développement durable : des expériences à échanger
Contact : Wuppertal-Institut, Döppersberg 19, D - 42103 Wuppertal, Allemagne.
La démarche de F. Schmidt-Bleek s’apparente aux recherches sur les "empreintes écolologiques" : Centre for Human Settlements, University of British Columbia : http://www.ire.ubc.ca/ecoresearch/ecoftpr.html
Voir aussi : Friedrich von Weizsäcker : Facteur 4, éd. Terra Viva, ISBN : 978 290 408 267 0
Livre
SCHMIDT BLEEK, Friedrich, Wieviel Umwelt braucht der Mensch ? Mips, das Mass für ökologisches Wirtschaften, Birkhäuser Verlag, 1994 (Allemagne)
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