10 / 1998
Frédéric Pascal s’est vu confier la présidence de la SCIC à un moment où celle-ci enregistrait chaque année 300 à 400 millions de pertes sur les loyers ; sa mission était de transformer cette administration en une véritable entreprise, tout en lui conservant sa vocation sociale.
La première mesure à consisté à revoir les statuts, ce qui a demandé 4 ans d’efforts ; les employés y ont consenti parce qu’ils savaient qu’en cas d’échec, la SCIC pouvait être supprimée et son parc immobilier cédé pour un franc symbolique aux collectivités locales. Un plan social de 700 personnes sur 2. 000 a été réalisé ; des primes très importantes ont été accordées, en considérant que ces agents n’étaient pas responsables de la mauvaise gestion passée. Le régime des salaires a été revu, les augmentations au mérite prenant nettement le pas sur les augmentations à l’ancienneté ou les augmentations générales. La " grosse machine " a par ailleurs été scindée en une vingtaine de filiales qui sont des sociétés autonomes, avec des présidents, des conseils d’administration, des comptes d’exploitation, des bilans, et des primes de performance accordées à chacune d’entre elles.
Certains loyers n’avaient pas été augmentés depuis les années 70 : des 3-pièces près du métro de Créteil étaient loués 400 F au lieu des 1. 200 réglementaires pour ce type de logement. Des contrats ont été passés avec les locataires pour normaliser ces loyers en 6 ans, et avec l’Etat, pour qu’il accorde l’Aide Personnalisée au Logement à ceux qui auraient des difficultés ; mais 70
d’entre eux n’avaient aucun besoin d’être aidés.
Il a fallu aussi changer les mentalités, et mettre ceux qu’on appelle désormais des " clients " (et non plus des " usagers " ou des " locataires ")au cour de l’entreprise. Auparavant, il fallait remplir plusieurs formulaires et attendre trois semaines pour faire changer une ampoule ; les agences de la société, qui n’étaient que 8 pour toute la région parisienne, sont passées à 45, et ont été implantées au cour des cités, le personnel résidant sur place ; 90
des demandes des locataires trouvent désormais une réponse immédiate.
L’augmentation des loyers est allée de pair avec leur réhabilitation, qui s’est faite à chaque fois en consultant les habitants : les associations de locataires ont été invitées dans tous les conseils d’administration. Lorsqu’il s’agit de réhabilitation intérieure, on annonce au locataire l’enveloppe qui est disponible et on lui donne le choix entre le fait de changer la salle de bain, de refaire le parquet ou l’électricité.
Grâce à ces différentes mesures, la SCIC gagne maintenant 100 millions par an.
Mais pour Frédéric Pascal, le point important, lorsqu’on transforme une administration en entreprise, est de ne pas " perdre son âme ". Beaucoup des clients de la SCIC sont en situation difficile. A tout moment, dès qu’il y a un accident de la vie, ils se mettent en impayé, et cela peut être le début de la catastrophe : au bout de trois ou quatre mois, on est expulsé, on trouve un autre logement qu’on ne peut pas payer non plus à cause des arriérés, et cela aboutit souvent à la destruction de la famille et de la personne.
Il faut donc intervenir très tôt : dès que quelqu’un n’a pas payé son loyer, on cherche à savoir pourquoi ; c’est souvent un mari qui est parti en abandonnant sa famille, ou qui a perdu son emploi, ou encore qui a un problème grave de santé. En premier lieu, on propose au locataire de déménager pour un appartement plus petit ; en même temps, on l’informe et on l’accompagne dans ses démarches pour obtenir les aides de l’Etat, qui sont nombreuses et substantielles, à condition de savoir à quelle porte frapper. Comme il se passe souvent plusieurs mois avant que ces aides soient débloquées, la SCIC a créé un fonds qui permet, en attendant, d’accorder un rabais sur le loyer. La dignité des habitants est ainsi préservée.
Des mesures ont également été prises en direction de ceux qui ne peuvent pas trouver de logement parce qu’ils n’ont pas d’emploi, et qui ont du mal à trouver un emploi parce qu’ils n’ont pas de logement. Un système de " bail glissant " a été mis en place avec l’association " Droit de cité " que la SCIC a créée avec une cinquantaine d’associations caritatives d’Ile-de-France : la SCIC signe un bail avec l’association, qui s’engage à accompagner le locataire tout au long du processus : au bout de six mois ou un an, lorsqu’elle considère que la personne est " mûre " pour sauter le pas, on fait " glisser " le bail à son nom.
logement, gestion de l’habitat
, France
L’une des mesures les plus étonnantes prises par F. Pascal a consisté à supprimer le corps des assistantes sociales de la SCIC... mais pour en faire des directrices d’agence. Auparavant, le social était d’un côté, le " business " de l’autre ; or F. Pascal estime " que tout le monde doit faire du business et que tout le monde doit faire du social ". J’ai été très séduite par l’idée qu’il défend, selon laquelle il ne devrait pas exister d’entreprises spécialisées dans l’" âme ", sous prétexte qu’elles offrent des produits subventionnés ou subventionnables ; selon lui, la vague de l’" éthico-mania " américaine, qui correspond le plus souvent à du " charity-business " ou à des coups de pub, occulte le fait que le but de l’entreprise n’est pas de faire du profit, mais de susciter une espèce d’alchimie entre les salariés qui créent des richesses, les clients qui sont heureux d’obtenir ces richesses, et les épargnants qui sont heureux de trouver une récompense à leur épargne. Souvent ce type de discours globalisant et euphorisant a le don de m’exaspérer parce qu’on y devine une bonne dose d’hypocrisie, de cynisme ou d’aveuglement. Mais F. Pascal a le ton d’un de ces " bourrus bienfaisants " chers à Diderot ; on a le sentiment que c’est vraiment un " homme de bonne volonté ", plutôt qu’un " homme qui a bonne conscience ".
Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…
PASCAL, Frédéric, BOURGUINAT, Elisabeth, Ecole de Paris de Management, Gérer sans perdre son âme : la construction et la gestion d'HLM, Association des Amis de l in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1997 (France), III
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