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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Docteur, pouvez-vous nous guérir de nos inondations ?

Agnès DE SOUZA

02 / 1997

Cette question a très sérieusement été posée à un homme-médecine navajo lors de l’une des réalisations de peintures de sable qui ont eu lieu pour la première fois en France cette année devant un public non-initié. L’hiver 1996, quelques-uns des hommes-médecine les plus éminents étaient en effet venus présenter à Paris ces peintures éphémères liées aux rituels de guérison. Cet événement, le peuple navajo -Dineh- l’a conçu comme un échange avec la pensée occidentale : en cette fin de 20ème siècle, il a voulu nous mettre sur "la Voie de la beauté" et nous apprendre à guérir. Un Navajo me disait : "les meilleures informations sont données par le livre de la nature".

Hozho : santé, beauté, harmonie :

Dans la culture navajo, la santé est indissociable de l’harmonie de la terre et du cosmos. La maladie résulte d’abord d’une rupture avec la part sacrée qui est en chaque homme, et c’est cette rupture qui ouvre la porte aux virus et microbes. L’individu est responsable de sa santé et secondairement "de l’ordre du monde" qu’il menace s’il n’y prend garde. Cette notion très riche d’hozho signifie santé, mais aussi ordre, harmonie, beauté, équilibre, bien, perfection... L’état qu’on doit chercher à atteindre ou restaurer. Le plus souvent ce mot est employé dans des expressions telles que "marcher dans la beauté" ou "Drive in beauty" comme on peut le voir sur des panneaux le long des routes en terre navajo. La santé dépendant de la relation entre le monde séculaire et le monde sacré, entre l’individu et son environnement, et la maladie découlant d’une rupture de cet équilibre, la guérison est le rétablissement de l’harmonie, cet ordre caché qui relie toutes les créatures de notre monde. Elle est aussi bien mentale, émotionnelle que physique.

Peintures éphémères :

Les Navajos possédaient un savoir très élaboré dans l’art de retrouver cette harmonie, et les peintures de sable, accompagnées, lors des rituels, de prières et de chants y jouent un rôle majeur. Il faut bien se garder de ne voir en ces peintures -médicinales- que de "l’art" éphémère. Le mot art n’existe pas dans la culture navajo: la notion de beauté n’y prend justement son sens que débarrassée de celui, occidental, d’esthétique. Ces peintures sont belles par leur pouvoir, ce sont des forces agissantes et vivantes qui soignent. Elles doivent être exécutées selon une codification rigoureuse, sous peine d’être inutiles ou dangereuses. En revanche, leur caractère "éphémère" est essentiel : au terme d’une cérémonie, la peinture "consommée" doit être rendue à la terre, au vent, aux directions cardinales... A l’inverse, les peintures fixes, décoratives, ne représentent pas exactement les originaux rituels : des détails y sont volontairement changés pour empêcher le pouvoir qu’elles contiennent d’être actif.

Hataalii :

Les cérémonies, qui sont aussi nommées "Voies" ou "Chants" sont "prescrites" pour des maladies précises, et ont leurs spécialistes. Le diagnostic est établi le plus souvent par des femmes de la tribu, connaissant bien le malade et sa famille. Puis la cérémonie se déroule sous la direction de l’homme-médecine (Hataalii)mais le malade est autant responsable de sa guérison -elle dépend de son implication dans cette cérémonie- qu’il l’était de son mal.

Chanteur, médecin, prêtre, historien... le Hataalii n’est pas un chaman. Son savoir lui a été transmis par un maître, il n’a pas un "don" mais des qualités morales -il a appris à vivre en harmonie- et une grande puissance de travail. Il faut des années de formation (pas moins de 20)pour devenir homme-médecine tant il est ardu de se souvenir des dizaines de chants, de prières et de peintures avec leurs signes, symboles, couleurs, etc. que comporte chaque Voie. Une vie suffit à peine pour assimiler deux ou trois Voies, d’autant plus qu’elles ont leurs variantes (avec ses variantes, la seule Voie de la nuit comprend plus de cent peintures; quant aux chants, celui de la Voie de la grêle qui est un des plus courts comprend quatre cent quarante-sept "versets"!).

Les cérémonies ont lieu à l’intérieur d’un "hogan". Même les hôpitaux ultra-modernes de la nation navajo en possèdent un : les cérémonies qui s’y déroulent avant et après les opérations permettent de retrouver totalité et sacralité de l’être et sont remboursées par les assurances. Au cours de la cérémonie, le patient vient s’asseoir sur la peinture de sable appropriée au mal concerné, en général face à l’est et au point d’intersection des directions cardinales, où la puissance de la peinture est maximale. L’Homme-médecine ayant humecté ses paumes d’une décoction d’herbes médicinales, les pose sur la peinture réalisée avec des pigments de roches, puis avec compassion sur le corps du patient, permettant ainsi une osmose entre les Etres sacrés de la peinture, l’homme-médecine et le patient.

Apparus à l’aube des temps à la surface de la terre pour persuader la terre et le ciel de se réconcilier, les Etres sacrés fixèrent une fois pour toutes les cérémonies et l’ordre du monde. Devenus invisibles, ils restent pourtant à proximité car passé et présent coexistent -ce qu’on ne peut comprendre qu’à l’intérieur d’une conception cyclique du temps- et les hommes-médecine les font revenir lors du rituel. Ces peintures ne "représentent" pas mais SONT ces Etres eux-mêmes, qui transmettent leur sacralité au patient. La cérémonie n’est donc pas une évocation de la Création, mais sa répétition.

Le prix de la cérémonie est fixé par le malade lui-même. Souvent très cher, car sont présents famille, amis, et membres du clan : parfois des centaines de personnes à héberger pendant 9 ou 10 jours. Les cérémonies durent deux, trois, cinq ou neuf nuits. Elles bénéficient ainsi au malade mais aussi à toute cette assemblée et à l’univers entier. C’est donc une activité sociale, et au-delà, cosmique.

Mots-clés

ethnologie, médecine traditionnelle, santé


, France

Commentaire

On pense ici au "Temps du rêve" des Aborigènes australiens qui lors de leurs voyages rituels dans les empreintes des Ancêtres recréent, dans sa perfection première, la Création chantée des Etres légendaires. Temps cyclique là aussi. Et au mandala tibétain dont la contemplation -permettant un recentrage- est capable d’opérer un changement dans le cours du mental, donc dans le corps du malade. Le dalaï-lama parle d’affaiblissement du système immunitaire à la suite des "décentrages" causés par les émotions négatives.

Dans tous ces cas, la restauration de la santé fait appel à la part de sacré qui est en chacun, et au rôle actif qui revient à l’individu, à sa responsabilité propre. La santé -qui va bien au-delà de la non-maladie- m’apparaît de plus en plus comme une affaire de civilisation, de philosophie, et non comme une affaire (de technique)médicale. Remettre sa santé entre les mains des médecins est alors un symptôme d’une pathologie dans notre culture. A l’université navajo les études de philosophie se terminent par un cours sur la santé. Il y a là un enseignement à tirer pour nos études de médecine.

Source

Livre

Peintures de sable des indiens Navajo, la voie de la beauté, Actes Sud, 1996 (France)

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