03 / 1996
"L’abandon des formes d’exploitation collectives impliquait-il le retour à des formes individuelles ou familiales d’organisation de la production ? " Le rôle actuellement attribué à la propriété privée dans l’économie de marché oriente le débat dans ce sens.
Cette décollectivisation prend des formes très différentes selon les pays. D’une manière générale, elle donne lieu à des formes sociales de production très diversifiées, aussi bien dans leur taille que dans leur statut juridique : exploitations collectives transformées en coopératives, en associations de producteurs ou en partenariats, fermes d’Etat démembrées devenues des sociétés de capitaux, exploitations privées, dont certaines se maintiennent après la décollectivisation. Ces processus s’inscrivent dans le temps long et seules les révolutions agraires (telles que collectivisation et décollectivisation)peuvent en modifier le cours. La filiation entre les diverses formes de production agricole nous renseignerait sur les raisons de la réapparition de l’agriculture familiale.
Les modalités juridiques de la redistribution foncière varient selon les pays, mais on peut retenir deux options : l’une qui consiste à restaurer la propriété préexistante à la collectivisation, l’autre qui équivaut à une réforme agraire, même si, en pratique, le souci de compromis qui anime les législateurs a associé les principes d’une justice réparatrice et d’une justice distributive. Toujours avec des variations selon les pays, l’émiettement foncier risque d’entraver la restructuration.
La restructuration du secteur agricole se fait dans le sens de formes plus efficientes que les structures collectives. La réapparition de l’agriculture familiale coïncide avec le retour du marché, montrant des formes plurielles d’insertion au marché. Ces formes familiales sont encore minoritaires (on les trouve surtout en Pologne), autant en termes de superficie occupée qu’en termes de participation à une production marchande.
Les conditions de renaissance de l’agriculture familiale, après leur disparition pendant des décennies (l’agriculture polonaise étant seule à avoir échappé à une totale collectivisation de longue durée), nous intéressent d’autant plus que, selon l’auteur, elles ont un avenir. Une agriculture privée s’est maintenue pendant la collectivisation, mais elle était étroitement contrôlée et avait un accès limité au marché. Cependant, ces lopins individuels ont certainement permis de conserver un savoir-faire et de préparer l’exploitation à un retour à une agriculture familiale.
L’exploitation familiale est le produit d’une histoire, d’une mémoire, et se caractérise par un projet spécifique qui est celui de la famille. Ces formes sociales de production se projettent dans l’avenir à partir d’un modèle idéel et des représentations que les familles s’en font. Dans les enquêtes réalisées il y a environ 5 ans, une place importante est accordée aux représentations.
Dans ces enquêtes, on distingue 4 groupes auxquels correspond un rapport différent à la terre selon un ensemble de critères :
Groupe 1 : les " porteurs de projet " correspondent à d’anciens propriétaires moyens, exploitant actuellement plus de 5 hectares, cadres dans le système collectif. Il y a donc continuité dans le statut social et l’appropriation foncière.
Groupe 2 : le projet moins clairement défini correspond à un statut foncier mixte, des parcelles de 1 à 5 hectares, une origine de propriétaires moyens, mais des qualifications hors de l’agriculture.
Groupe 3 : ce groupe de travailleurs agricoles envisage difficilement de devenir chef d’exploitation, même s’il dispose de parcelles allant jusqu’à plus de 5 hectares. Petits propriétaires avant la collectivisation, ce qui manque le plus à ces travailleurs manuels est un esprit d’entreprise, un ensemble de compétences.
Groupe 4 : ce goupe n’a ni les valeurs ni les compétences pour porter un projet individuel. Le lien d’appropriation à la terre est pratiquement inexistant. C’est le type même du travailleur collectif d’origine prolétaire.
Le rejet de l’exploitation indépendante est d’autant plus fort que le système collectiviste a suscité une dépaysannisation des sociétés. La persistance d’un modèle féodal a longtemps empêché la formation d’une paysannerie. A l’exception de la Pologne et peut-être de la Bohême (en République Tchèque), la paysannerie n’a pas une histoire très enracinée.
La privatisation des terres favorise la reconstitution d’une petite propriété foncière inspirée des réformes agraires de l’entre-deux guerres ou de l’immédiat après-guerre. La réforme renoue ainsi avec " l’idéal du petit paysan propriétaire ". On distingue les exploitations familiales de quelques hectares, dont le fonctionnement les rapproche de l’ancienne économie auxiliaire, et celles de superficie plus étendue, qui tentent de renouer avec une logique familiale d’articulation entre capital, travail et famille.
Les conditions d’installation ont été d’autant plus difficiles en l’absence de moyens financiers (crédit)et de services techniques. L’ancienne élite dirigeante des coopératives est parvenue à s’approprier les éléments les plus intéressants du patrimoine collectif et donc à s’installer dans des conditions plus favorables. Il faut disposer d’un capital économique, certes, mais aussi d’un capital culturel : ce qui différencie les individus, c’est leur capacité à valoriser leur savoir-faire. Dans le contexte actuel, deux éléments sont essentiels : des compétences professionnelles polyvalentes et une certaine maîtrise des réseaux de commercialisation.
La tendance générale est de favoriser la formation d’exploitations de taille moyenne, selon des critères d’efficience, ce qui n’est peut-être pas la meilleure manière de poser le problème. Sur le plan social, il faut considérer que la restructuration des économies de ces pays risque de conduire une partie des populations rurales vers l’exclusion. Il serait donc plus raisonnable de favoriser le développement des petites exploitations et de leur permettre de s’articuler davantage au marché, alors que les difficultés actuelles conduisent de nombreuses exploitations à produire pour leur propre approvisionnement. La stabilisation socio-économique de ces pays dépendra de la stabilité du secteur agricole.
agriculture familiale
, Europe de l’Est, Europe Centrale
Les transformations structurelles en Europe centrale et orientale relancent le débat sur les mérites respectifs de la grande, de la moyenne et de la petite exploitation agricole. La question de la taille idéale, tant qu’elle ne fait référence qu’à l’efficience des exploitations, est mal posée.
Un article est malheureusement trop succint pour saisir les particularités nationales, dont le texte est pourtant parsemé. Le lecteur se trouve donc balloté entre, d’un côté, les généralités sur les processus de décollectivisation et le " modèle idéel du petit paysan propriétaire " et, de l’autre, les explications plus fines d’ordre historique et idéologique (quelles politiques de développement rural), de portée très limitée faute d’espace pour rendre compte des nuances nationales. En outre, l’auteur semble attendre beaucoup plus des experts européens que des décideurs nationaux.
Colloque "Agriculture paysanne et question alimentaire". Chantilly, 20-23 février 1996.
Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…
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