L’agriculture ne peut se concevoir que dans la durée, donc dans la reproduction des ressources qu’elle utilise. La " durabilité " de l’agriculture peut donc être pensée en termes de stabilité ou d’instabilité des systèmes agricoles. Elle est également indissociable des questions de sécurité alimentaire, de respect des cultures et de la démocratie.
La diversité est le mot qui caractérise le mieux les stratégies paysannes, aussi bien dans l’utilisation de ressources multiples que dans la participation de la famille dans divers espaces (sociaux, politiques, économiques). A partir de liens plus étroits avec l’extérieur, un nouveau style de paysan apparaît, ce qui lui permet de trouver les moyens de se reproduire.
Cette communication propose l’analyse de certains traits pris dans cette diversité qui caractérise les paysans, ceci à la lumière de l’expérience mexicaine.
En ce qui concerne la production paysanne, le trait le plus apparent est celui de la biodiversité et de sa préservation. Il s’agit donc d’une utilisation optimale des ressources et de l’espace tout au long de l’année pour obtenir des produits aux usages divers (aliments, plantes médicinales, fibres, peaux, etc.). Les aménagements et les techniques pour la protection des ressources (pour la reproduction de la fertilité)et des plantations (contre les maladies)sont bien connus des paysans. L’intégration des activités agricoles, d’élevage et de transformation permettent de maximiser l’utilisation des ressources et de la main-d’oeuvre.
L’organisation est un autre aspect essentiel qui concerne toute la famille, voire des groupes de familles, et montre la diversité et l’inter-relation des activités (par exemple, dans la distribution des tâches qui dégage de la main-d’oeuvre pour d’autres activités).
Sécurité et autosuffisance sont les objectifs les plus importants dans la stratégie globale de reproduction des familles paysannes. C’est au nom de cette reproduction (qui se réduit, pour certains, à la survie), qui doit être assurée à court, moyen et long terme, que la famille recourt à la diversité dans tous les domaines.
Cependant, la modernisation des campagnes a apporté des techniques qui favorisent les productions pour le marché et, avec elles, une spécialisation de la production. A son tour, cette spécialisation pour le marché suppose une intensification qui augmente les rendements. Les intrants commerciaux (dont les fertilisants chimiques)et la main-d’oeuvre salariée ont fortement élevé les coûts de production.
Cette modernisation a également suscité des changements profonds dans l’organisation traditionnelle des familles paysannes, se traduisant aussi bien dans le paysage que dans les modes de vie. La perte de diversité naturelle va de pair avec la perte de diversité culturelle.
Pourtant, si les paysanneries mexicaines ont survécu à cinquante ans de révolution verte, on peut espérer qu’ils peuvent aussi survivre à la crise économique actuelle, qui les oblige à augmenter leurs revenus. La location de leurs terres à des entreprises transnationales (en dehors de la saison des pluies où ils produisent pour eux)est une pratique de plus en plus répandue. C’est le cas de la production de melons dans la région de " Tierra Caliente ", dans l’Etat de Guerrero. Les facteurs de production (terre et eau)sont peu onéreux et l’absence de réglementation écologique facilite la sur-exploitation des ressources. Le paysan devient alors journalier sur ses propres terres, parfois sous des formes déguisées. L’entreprise contrôle entièrement le processus de production jusqu’à la commercialisation. Cette pratique évite au paysan d’émigrer et lui permet de maintenir ses productions de subsistance.
Un autre type de stratégie commerciale est celui développé par des négociants de la Centrale d’Approvisionnement de Mexico pour la production de piment " serrano ". Le commerçant choisit des producteurs dans tout le pays et, en nouant une relation personnelle avec eux et en leur fournissant intrants, assistance technique et crédit, s’assure un approvisionnement régulier. En dépit des contraintes, le paysan trouve une sécurité dans les conditions du marché.
Parmi les stratégies paysannes se trouve également la migration, qui, tout en prenant en compte l’organisation de la famille, permet de dynamiser son économie, voire parfois celle de villages entiers, atteints par la paupérisation.
Enfin, une option productive conduite directement par des paysans de l’Etat de Morelos montre que la spécialisation dans une culture commerciale -ici, la tomate- peut contribuer à renforcer la diversité productive. Ici, les paysans se sont spécialisés en suivant leur propre logique. A l’origine, se trouve un grave problème de pression démographique sur la terre, qui a incité les paysans à coloniser des terres pauvres et à rechercher de nouvelles solutions. La migration aux terres chaudes était une tradition incontournable, de même que la production pour le marché allait le devenir avec l’introduction de technologies modernes. La tomate étant un fruit particulièrement délicat, les paysans ont fait preuve d’une grande adaptabilité en combinant la tolérance du produit avec leurs propres aptitudes. Ce choix difficile leur a permis malgré tout de rester paysans (c’est-à-dire conserver aussi une diversité de productions et d’activités)et de se reproduire en tant que tels.
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Les auteurs sont convaincus que la " culture paysanne ", construite au fil des siècles, a pu se maintenir et se reproduire et a permis aux paysans de ne pas disparaître et de continuer à se reproduire. Mais il y a aussi les perdants, à ce " jeu " de la modernisation, dans lequel la différenciation socio-économique est un corollaire.
Si cela était nécessaire, les auteurs nous rappellent que les paysans savent souvent trouver les solutions à leurs problèmes quand l’enjeu est de rester sur leur territoire.
Colloque "Agriculture paysanne et question alimentaire". Chantilly, 20-23 février 1996.
Titre orginal : La diversidad especializada como busqueda de desarrollo sustentable campesino.
Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…
GUZMAN G. Elsa; LEON L., Arturo
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