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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

L’approvisionnement alimentaire à Cuba

Les producteurs entre l’Etat et le marché

Ethel DEL POZO

03 / 1996

La révolution et l’embargo américain, la construction d’un Etat inspiré du modèle soviétique ont impulsé très tôt une insertion sans faille dans la division socialiste du travail. Les choix de développement mis en oeuvre dans l’île en découlent directement: maintien de la monoculture sucrière, mis en place d’une agriculture fortement dépendante de ses consommations d’intrants d’origine industrielle et d’énergies concentrées, pour la plupart importés. L’effondrement du bloc socialiste avec lequel Cuba assurait alors près de 85

des ses échanges, essentiellement sous forme de troc (sucre contre pétrole par exemple)et le durcissement de l’embargo américain ont entraîné la mise en place d’une politique d’ajustement draconienne pour rationner les ressources, favoriser l’insertion dans le marché international en devises fortes, reconvertir l’économie (en développant par exemple le tourisme)sans changer le régime politique.

De profondes recompositions sont à l’oeuvre qui mettent au premier plan la place des agriculteurs dans le contexte de pénuries alimentaires aggravées (50

de l’alimentation, en particulier les protéines d’origine animale étaient importées en 1989). Après l’échec du plan d’autosuffisance alimentaire de la première période (dite "période spéciale" de type "communisme de guerre)mis en oeuvre entre 1989 et 1993, la nouvelle politique économique modifie la donne: le démantèlement des fermes d’Etat et l’ouverture de nouveaux marchés libres permettent de s’interroger sur les réponses des différents acteurs: l’Etat et les pouvoirs public, qui auparavant monopolisait la production et la distribution, les divers types de producteurs (fermes d’Etat maintenues, coopératives, paysans "petits producteurs"), les intermédiaires.

Le premier semestre de l’année 1993 se révèle catastrophique dans tous les domaines. Les pénuries sont particulièrement graves dans la production électrique, les transports et l’alimentation de la population urbaine, en particulier dans la capitale et les grandes villes où sévit une disette rampante, aggravé par une épidémie de neuropathie liée à la malnutrition. Le cours du peso au marché noir par rapport au dollar ne cesse de se déprécier. Les succès remarqués des récoltes vivrières du premier semestre 1992 ont fait long feu. Les baisses de production et de rendements sont particulièrement nettes dans le secteur des fermes d’Etat qui concentre l’essentiel des ressources disponibles pour l’agriculture, sans être rentable. Dans le même temps une grande partie de la production des fermes privées échappe a Acopio et nourrit le marché noir.. Cette situation explique le revirement de la politique au cours de l’été 1993.

La mesure la plus spectaculaire est la décision de démanteler les fermes d’Etat pour arrêter de les subventionner à perte. Il s’agit de remplacer les diverses unités de base de production au sein des grandes exploitations par des unités autonomes de taille moyenne sous forme de coopératives autogérées (UBPC, unités de base de production coopérative). Les terres sont attribuées en usufruit à un collectif de travailleurs agricoles de l’ancienne exploitation. L’UBPC devient autonome sur le plan de sa gestion tout en continuant comme la CPA à obéir aux directives du plan, mais financièrement l’Etats se désengage. Les résultats de production du premier semestre 1994 ne sont pas à la hauteur des espérances. L’Etat est devenu incapable de répondre aux besoins de base. La quasi totalité de la consommation est devenue souterraine, avec une flambée des prix au marché noir. Le circuit dollar, d’abord clandestin, puis autorisé joue un rôle de plus en plus actif comme vecteur à la hausse, en fonction des fluctuations des approvisionnements. Ce qui remet à l’ordre du jour la question des marchés libres pour faire baisser les prix et capter l’excédent de liquidités en circulation. La crise des "balseros" a tranché le débat. Il s’agit de faire baisser la tension en ouvrant une alternative à l’approvisionnement urbain.

En Septembre 1994 un décret-loi autorise et organise l’ouverture de nouveaux marchés agricoles (mercados agropecuarios), régis par la loi de l’offre et de la demande. Il s’agit d’accroître la production agricole pour satisfaire la consommation interne, un droit est consenti aux producteurs, quelqu’ils soient, de vendre sur ces marchés, à prix libre, l’excédent de production dégagé après les livraisons obligatoires à l’Etat. Les types de produits et les types de vendeurs autorisés sont précisés. Volumes et types de produits sont définis négativement: il ne peu s’agir que d’excédents et un certain nombre de produits son exclus (tabac, café, cacao), ou rationnés (pommes de terre, sucre, certaines viandes). Sont autorisés à vendre les agriculteurs eux mêmes ou leur représentant dûment enregistré. Les autorités essayent d’éviter l’enrichissement des intermédiaires en se plaçant en position de régulateur, le budget public doit profiter de la plus-value commerciale: de taxes sont prélevés, la collecte et le transport sont à la charge de participants.

Au bout d’un an de fonctionnement, tous les types de producteurs restent représentes, avec une participation majoritaire des plus petits producteurs (qui savent étaler les récoltes, profiter des prix, n’ont pas de quotas avec Acopio et sont aussi les seuls vendeurs de viande de porc, ce qui renforce leur participation en valeur). Au niveau des volumes, de la variété comme de la qualité des produits, les marchés sont un succès. Mais, globalement, les volumes écoulés au marché restent modestes, oeufs et volailles sont rares.

Mots-clés

marché agricole, intervention de l’Etat dans l’agriculture, coopérative agricole, petit producteur, approvisionnement urbain, approvisionnement alimentaire


, Cuba, La Havane, Pinar del Río

Commentaire

En conclusion l’auteur signale que Cuba n’est pas encore sortie de l’ère des pénuries. Le plan conserve l’essentiel de ses rigidités, les initiatives des producteurs restent solidement encadrés. Une nouvelle conception de l’Etat apparaît: un Etat régulateur d’une activité économique largement autogérée ou privée, dans un "socialisme avec le marché". Les marchés agricoles sont ainsi les vecteurs de transformations plus profondes de l’économie et de la société. Leur rôle dans la revalorisation de la monnaie nationale s’inscrit dans la transition vers le peso convertible. La crise du modèle supérieur des fermes d’Etat, la fermeture des perspectives d’emplois urbains, la nécessité de se nourrir, ont remis à l’ordre du jour la possibilité d’un retour vers l’emploi agricole de personnes jeunes. Aujourd’hui le secteur d’Etat ne couvre plus que 10

de la SAU, les UBPC 70

, les coopératives de production agricole 8

et les producteurs privés 12

. Le processus de coopérativisation des anciennes fermes d’Etat est-il susceptible de transformer des "travailleurs agricoles", ne se vivant pas encore comme des coopérateurs "maîtres de la terre" en agriculteurs, voire en paysans, pratiquant l’autogestion? Pour l’auteur, par delà la crise, l’avenir des campagnes cubaines se joue certainement là, au sein des nouvelles coopératives.

Notes

Colloque "Agriculture Paysanne et Question Alimentaire", Chantilly, 20-23 Février, 1996.

E.del Pozo est une ethnologue d’origine péruvienne qui a beaucoup travaillé sur les organisations paysannes et indigènes.

Source

Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…

DOUZANT ROSENFELD, Denise

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