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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Quand est-ce que votre indépendance va finir ?

Idrissa DIABATE

10 / 1998

L’histoire se passe dans un petit village au nord de la Côte d’Ivoire. La fête de l’indépendance (1)y est célébrée le 7 août de chaque année dans l’une des capitales régionales. La région choisie bénéficie d’un apport financier lui permettant de développer ses équipements : infrastructures routières, ponts, installations téléphoniques...

En effet, un mois avant la fête, la région devient le point de mire de tout le pays et les médias se mobilisent pour recueillir l’avis de la population. La presse écrite réalise des interviews et des reportages photo, la radio arrive avec ses micros baladeurs, la télévision se déplace également pour organiser des émissions en direct dans les villages de la région.

Cette année-là, dans le cas précis du petit village du Nord, l’équipe de tournage de la télévision avait choisi de faire parler un vieil homme dont on pensait faire le témoin vivant de l’histoire de l’indépendance du pays, objet de la célébration à venir. L’équipe en place, le réalisateur tend son micro au monsieur repéré et lui pose la question : "Monsieur, vous êtes un notable de ce village, la fête de l’indépendance se déroule cette année dans votre circonscription. Qu’avez-vous à nous dire sur l’indépendance ?"

Le cameraman fait un gros plan sur l’interviewé qui regarde dans l’objectif de la caméra ... et lance : "quand est-ce que votre indépendance va finir ?". Saisi par cette provocante réponse en forme de question retournée, le réalisateur ordonne à son équipe : "coupez ! coupez !" Hélas, l’émission étant en direct, le public ivoirien avait déjà tout vu et tout entendu,,,

Mots-clés

processus de démocratisation, colonisation, audiovisuel, télévision


, Côte d’Ivoire

Commentaire

La réaction du réalisateur est dûe au fait que le monsieur interrogé était le père d’un député en exercice, lequel jouissait d’une grande autorité et d’un prestige tels que sa famille pouvait vivre dans de bonnes conditions. Pour le réalisateur, l’interview improvisée ne devait pas poser de problème, la question devant susciter chez le vieux monsieur une fierté qui le pousserait à vanter les bienfaits de l’indépendance et à faire une solide propagande pour le régime en place. Il était loin d’imaginer la situation réelle : l’indépendance a fait naître une grande lueur d’espoir chez les Africains de la génération de ce vieux monsieur qui avaient souffert du système colonial. Mais le comportement et les agissements des politiciens ivoiriens et plus généralement du pouvoir en place ont rapidement transformé cet espoir en désenchantement et fait de nombreux mécontents. Pour ce monsieur le peuple a souffert avant les indépendances et continué de souffrir avec les indépendances; sa réponse, qui manifeste un certain agacement, signifie que le terme "indépendance" n’est pas adapté à la situation présente et qu’il n’y a pas lieu de la fêter, puisqu’elle est synonyme de souffrance et de déception, et ne présente pas de rupture majeure avec la situation coloniale dans le vécu du peuple.

Notes

(1)Les indépendances des pays de l’Afrique de l’Ouest datent en majorité de 1960. C’est le cas de la Côte d’Ivoire.

Fiche rédigée au cours d’un atelier Dph organisée par le GARED à Lomé (Togo)du 15 au 21 octobre 1998, Les participants font partie du Programme Sols du Golfe de Guinée, lui-même issu du Programme Sols de l’Alliance pour un monde responsable et solidaire. Ce récit a été choisi par l’ensemble des participants parmi ceux qui doivent figurer dans la base de données Dph, et traité par un groupe de trois personnes, dont l’auteur du récit.

Idrissa Diabaté est professeur en audiovisuel aux beaux-Arts d’Abidjan et à l’université de Cocody, réalisateur de nombreux documentaires. Contact : 22 BP 648 Abidjan 22. Côte d’Ivoire.

Source

Texte original

GARED (Groupe d’Action et de Recherche en Environnement et Développement) - BP 30562, Lomé, TOGO. Fax (228) 21 0915. - Togo - gared (@) togo-imet.com

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