03 / 1996
En Guinée Bissau, l’importation en riz ne cesse d’augmenter depuis l’indépendance et est aujourd’hui en passe de devenir le premier poste des importations. Bien que de nouvelles variétés aient été introduites, la production locale ne cesse de baisser. La riziculture irriguée étant exigeante en main-d’oeuvre, l’émigration rurale serait à l’origine de la baisse de la production. Une étude menée dans la région de Tombali, au sud du pays, propose une toute autre analyse : la détérioration du taux d’autosuffisante, comblée par les importations, est liée à la fois à un processus de restructurations sociales et de reconversion des activités agricoles. L’exode rural ne serait alors que le résultat de ces évolutions, ces dernières rendant possible le départ des jeunes en ville.
L’étude a permis de distinguer trois ensembles dans la région de Tombali : la région nord (zone 1)pratique la culture sur brûlis, ou riziculture de plateau, et l’autoconsommation est assurée pendant 11 mois de l’année. La région centre-sud (zone 2)pratique à la fois la riziculture de plateau et l’agriculture irriguée sur sols salins, dite riziculture de bolaña ; l’autoconsommation n’est assurée que durant 6-7 mois. La région grand sud (zone 3)pratique la culture de bolaña, et l’autoconsommation est assurée pendant 9-10 mois de l’année. Si la zone 1 et 3 ont des techniques de culture différentes, elles s’opposent à la zone 2 par un taux d’autosuffisance supérieur et un exode des jeunes plus faible, s’accompagnant de nombreux retours lors des travaux agricoles. De plus, dans les zones 1 et 3, l’exode rural est inférieur à celui de la génération précédente, alors qu’il est supérieur dans la zone 2. En outre, il a été observé que la perte en main-d’ouvre n’est pas symétrique à l’importance de l’exode, mais davantage à la distance du lieu d’émigration.
La mise en évidence de ces trois sous-ensembles montre qu’il n’existe pas de lien entre l’exode rural et la technique agricole utilisée, ni avec l’identité ethnique. De plus, il a aussi été observé que si les zones 2 et 3 pratiquaient toutes deux la culture de bolaña, le niveau d’entretien des digues était meilleur dans la zone 3 que dans la zone 2.
Comment expliquer alors ces disparités, tant au niveau de l’exode rural que de l’entretien des digues ?
Traditionnellement, dans le système de production Bolaña, la digue principale est entretenue par l’ensemble des classes d’âge sous une autorité unique, et les détenteurs de parcelles sont liés par des relations de parenté ou de classe d’âge. Si une part importante de la main d’oeuvre est familiale, il est souvent fait appel à différentes associations (associations villageoises, association de femmes, de jeunes). Sorte de coopérative de force de travail, basée sur l’échange, où la force de travail ne s’échange que par de la force de travail ; c’est aussi un lieu privilégié d’exploitation des cadets par les aînés, les premiers travaillant dans les champs des seconds.
Si pendant longtemps l’ensemble des groupes ethniques était ainsi organisé, la majorité finit par changer d’organisation sociale et par abandonner la riziculture Bolaña au profit de la culture du riz sec (culture de plateau). Aujourd’hui, seuls les Balante pratiquent encore la culture Bolaña.
Si le maintien d’une organisation encore traditionnelle permet un bon niveau d’entretien des digues dans la zone du grand sud, il n’en est pas de même dans la région centre-sud, où certaines évolutions sociales bouleversent les pratiques culturales.
Le développement de l’islam et de la notion de Nation, offre un espace d’identification plus large que la seule référence au groupe ethnique. Le sentiment d’appartenir à un groupe plus universel s’accompagne d’une individualisation et d’un affaiblissement de la prééminence des aînés sur les cadets, de l’homme sur la femme et du groupe sur l’individu, permettant l’apparition de l’individualisme. Ce nouveau modèle social entraînant la fin du centre unique de décision et l’exploitation d’une même digue par des détenteurs de parcelles dont les liens sociaux sont faibles a des répercussions sur la production.
D’autre part, les jeunes vont de plus en plus tenter de monnayer leur participation aux travaux, devenant ainsi un des lieux du rapport de force conflictuel entre aînés et cadets (payer les cadets, c’est leur reconnaître un statut). Cette situation va être un frein à l’entretien des digues, non pas pour des raisons de difficultés financières, mais pour des problèmes d’entente.
L’abandon des réparations des digues n’est donc pas lié à l’exode rural, mais à une redéfinition des rapports sociaux et à l’introduction de l’individualisme.
A cette restructuration sociale s’ajoute le développement de la commercialisation du riz d’importation qui autorise une baisse de la production sans risque de famine.
Dans la région centre-sud, la culture d’anacardiers prédomine sur celle du riz : le rapport productif entre les deux cultures est largement en faveur de la première, et la vente du cajou permet l’achat du riz d’importation, compensant ainsi le riz non produit. La culture d’anacardier étant moins exigeante en main-d’oeuvre autorise la migration.
Aussi, si la région centre-sud a un taux d’exode plus élevé, c’est parce qu’on laisse partir les jeunes, et de mêmes, si dans cette région les scolarisés reviennent moins souvent c’est parce qu’on le leur demande moins. L’exode rural n’est donc pas la cause de la dégradation des taux d’autosuffisance; au contraire, les transformations de la production ont entraîné une dégradation du taux d’autosuffisance, rendu possible par les possibilités d’importation, ces dernières autorisant à leur tour l’exode rural.
A l’avenir, soit la mise en oeuvre d’une politique de limitation d’importation de riz permettra un maintien de la culture de Bolaña, soit le développement de la production des anacardiers s’accompagnera d’un abandon progressif des cultures de Bolaña.
Au niveau des villages, c’est l’existence même des boutiques qui est en jeu avec le développement de la production d’anacardiers : si auparavant les commerçants ramassaient le cajou auprès des magasins villageois, aujourd’hui, ils collectent directement auprès des producteurs. Or, les activités des quelques magasins villageois existant reposent essentiellement sur le riz et le cajou. La suppression de leur rôle d’intermédiaire entre les producteurs de cajou et les grands commerçants, risque d’entraîner à terme la fermeture des magasins villageois.
agriculture irriguée, riz, importation agricole, exode rural
, Guinée-Bissau
Ce texte porte sur une étude commanditée par la coopération française. Des informations sur le déroulement de l’enquête sont fournies dans le texte (critère d’échantillon, information sur la technique généalogique, sur le contenu des questionnaires, l’intérêt des entretiens et des observations.
Colloque "Agriculture paysanne et question alimentaire", Chantilly, 20-23 février 1996.
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es inégalités sont à craindre. D'ores et déjà
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