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Tendances actuelles de l’organisation des producteurs dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal

Claire TARRIERE DIOP

03 / 1996

Si les premiers groupements de producteurs ont été mis en place par l’Etat, la tendance actuelle est le développement de groupements privés, sous la forme de Groupements d’Intérêt Economique (GIE). Le GIE est une forme d’organisation souple sur le plan juridique devant permettre un large accès au crédit. Pour les producteurs, l’avènement des GIE leur facilite l’accès à la terre irriguée, en leur donnant les moyens de la mettre en valeur par l’accès au crédit. En effet, avec l’application dans la région du Fleuve depuis 1980 de la loi sur le domaine national, la sécurisation relative de la terre n’est effective que si celle-ci est mise en valeur, ce qui dans le cadre de la culture irriguée nécessite d’importants moyens financiers. Si dans un premier temps le développement de l’irrigation a bénéficié d’un soutien financier et technique important de l’Etat, le contexte de la nouvelle politique agricole et plus particulièrement du désengagement de l’Etat change la donne.

A partir de la seconde moitié des années 80 et surtout des années 90, des périmètres privés se développent en dehors de toute structure d’encadrement. Il s’agit généralement de petits périmètres (une vingtaine d’hectares), alimentés par un groupe motopompe sur bac flottant. Le coût minime de la réalisation a pour corollaire un aménagement sommaire ne comprenant généralement pas de réseau de drainage.

Contrairement aux autres types de périmètres mis en place par l’Etat ou par des ONG, ils ne sont pas gérés par des groupements villageois, mais par des groupements essentiellement constitués sur la base de liens familiaux. Il s’agit en effet le plus souvent de quelques individus, d’une ou plusieurs familles, détenteurs de droits fonciers traditionnels, qui se rassemblent pour demander une affectation de terres auprès de la communauté rurale. Une fois l’affectation de la terre obtenue, l’inscription du GIE au registre de commerce leur permettra si besoin d’accéder au crédit. L’apport personnel demandé pour l’octroi de crédit est dans certains cas rassemblé par la cotisation des membres. Dans d’autres cas, les propriétaires fonciers font appel à une tierce personne, avec laquelle un contrat est passé. Si la majorité des périmètres privés ont été réalisés avec des crédits octroyés par des institutions bancaires, nombreux sont ceux financés sur fonds propres; dans ce cas, les ressources ne viennent généralement pas de revenus agricoles, mais proviennent soient des ressortissants résidant à Dakar ou à l’étranger, soit d’anciens émigrés revenus au village et qui ont investi dans l’agriculture. Ici, le statut de GIE permet une reconnaissance officielle, pour des besoins autres que l’accès au crédit, qui peuvent être, par exemple, l’exonération du matériel ou l’adhésion à des unions ou fédérations.

Au-delà du mode de financement, trois types de GIE privé peuvent être distingués, reflétant l’adaptation du cadre juridique par les acteurs, selon leurs objectifs et leurs moyens. L’enjeu du GIE familial, qui regroupe une, ou le plus souvent plusieurs familles, ayant des terres contiguës, est de sécuriser un patrimoine foncier. La famille initiatrice du projet sera le plus souvent celle ayant des terres au bord du fleuve, à laquelle peuvent s’associer par la suite des voisins de terres ayant des terres situées plus en arrière, et donc dépendant des premiers pour l’accès à l’eau. Le nombre de personnes effectivement impliquées dans le "GIE individuel" ou "GIE entreprise" est faible. L’objectif est ici davantage la recherche d’un profit économique que la sécurisation d’un droit foncier, même si la détention d’un droit foncier est une condition d’accès à la terre. Le GIE mixte correspond à un GIE familial, qui ne peuvent fournir l’apport personnel nécessaire à l’octroi du crédit; ils passent alors un contrat avec un "entrepreneur". Ce dernier cherche le financement pour l’aménagement et l’achat du GMP, et préfinance la campagne; en échange, les paysans lui "prêtent" une partie de leurs terres, sur laquelle il emploiera des salariés agricoles. A la fin du contrat, qui est généralement d’une durée de 5 à 6 ans, l’entrepreneur se désengage et les paysans récupèrent leurs terres. L’avantage pour les paysans, dans ce type de contrat, est que le risque financier est entièrement supporté par l’entrepreneur.

A l’instar des autres types d’aménagement, l’exploitation des parcelles est individuelle et les travaux collectifs concernent l’entretien des canaux. L’attributaire exploite généralement lui-même sa parcelle, avec l’aide des femmes et des enfants, pour les travaux nécessitant une main-d’oeuvre importante (repiquage, désherbage, récolte). Certains membres ont aussi recours à des journaliers, ou à des ouvriers agricoles permanents. L’histoire du projet, sa composition et son mode de financement détermineront le mode de répartition foncière et de fonctionnement. Dans certains cas, l’ensemble du périmètre sera divisé en parcelles de superficies égales, réparties entre les attributaires. Dans d’autres, chaque famille cultivera sur les terres de ses ancêtres, la répartition des parcelles se faisant entre les membres d’une même famille, tous les attributaires ne bénéficiant pas alors de superficie équivalante. Le financement de la motopompe et de la campagne peut dans certain cas être assurée par la famille initiatrice qui récupère les charges en fin de campagne. Si les familles associées bénéficient de la motopompe et de l’aménagement, elles sont cependant tributaires de la famille initiatrice. Dans d’autres cas, la motopompe et l’aménagement ont été financés par un crédit. L’existence de fonds de roulement étant très rare, les campagnes sont le plus souvent pré-financées par la cotisation des membres, à moins que des arrangements ne soient passés avec les fournisseurs pour ne payer qu’en fin de campagne.

La possibilité de mettre en valeur sa terre sera pour certains un moyen de sécuriser sa terre alors que pour d’autres ce sera un moyen d’accumulation. La création d’un GIE privé s’inscrit donc dans une stratégie de type défensif (défense de droit foncier)ou une stratégie de type offensif (recherche d’une rentabilité économique). Si les deux tendances sont généralement présentes au sein d’un même GIE, l’une est généralement mise en avant par rapport à l’autre. Ainsi, les GIE familiaux tendent plutôt vers une stratégie défensive, alors que les GIE "individuels" tendent vers une stratégie offensive. Les GIE mixtes sont la rencontre des deux types de stratégie, "l’entrepreneur" recherchant la rentabilité, les détenteurs de droits fonciers traditionnels cherchant à sécuriser leurs terres.

Si, dans le système traditionnel, le pouvoir d’une famille était étroitement lié à son patrimoine foncier, dans le système irrigué la différenciation s’opère davantage au niveau de la capacité économique. Cette dernière est déterminante pour faire face aux charges d’exploitation et pour s’acquitter des dettes contractées. Cette capacité financière ou la capacité relationnelle à pouvoir mobiliser du financement comme nouveau critère de différenciation apparaît de façon plus nette avec le développement des aménagements privés. La multiplication des GIE constitue autant de lieu et d’occasion pour certains d’accroître leur position sociale.

Mots-clés

association de producteurs, organisation paysanne, accès au crédit, accès à la terre, droit coutumier


, Sénégal

Notes

Colloque "Agriculture paysanne et question alimentaire", Chantilly, 20-23 février 1996.

Source

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