04 / 1997
Soixante participants du Réseau Interaméricain Agricultures et Démocratie (Riad)se sont réunis à Quito (Équateur)en 1996 et ont adopté un texte dont voici quelques extraits.
En ce qui concerne l’Amérique Latine, la proportion de la population qui n’a pas accès à un niveau minimal d’alimentation dépasse les 50 %. La multiplication, l’extension et l’aggravation de l’insécurité alimentaire en Amérique latine au cours des vingt dernières années ne sont pas le résultat de la fatalité, de l’existence limitée de ressources naturelles dans nos pays, d’aléas climatiques ou d’une chaîne involontaire d’erreurs commises par nos gouvernements et nos élites politico-économiques.
Loin de permettre un accès équitable aux denrées alimentaires, la mondialisation des marchés, l’élimination des barrières commerciales, la privatisation des économies et le retrait de l’intervention gouvernementale ont aggravé les problèmes de production et ont permis leur extension depuis une quinzaine d’années.
Dans le cadre de cette politique et de ce modèle, on abandonne l’idée que la sécurité alimentaire se trouve placée sous la responsabilité d’une politique publique relevant de l’intérêt général. C’est le marché qui devient le meilleur moyen de favoriser l’accès à la nourriture, complété par des programmes d’assistance pour les couches les plus vulnérables de la population. Selon le principe des avantages comparatifs, un pays doit produire uniquement des biens pour lesquels - en termes économiques - il est plus efficient et compétitif que les autres. Cette conception étriquée considère la nourriture comme une simple marchandise. On estime que certains pays de l’hémisphère Nord (États-Unis, Union européenne, Canada)sont mieux placés pour produire les aliments de base et doivent jouer le rôle de fournisseurs naturels du marché mondial.
En conséquence, les pays sous-développés doivent démanteler leur secteur agro-alimentaire orienté vers le marché national et le reconvertir vers la production de denrées pour lesquelles ils bénéficient d’avantages comparatifs, telles que les cultures tropicales, les cultures maraîchères hors saison, les fleurs exotiques, les produits forestiers qui ont un coût environnemental et social élevé, le bétail sur pied, etc. La nouvelle division du travail attribuée à nos pays par le marché mondial a signifié l’abandon des politiques gouvernementales concernant la sécurité alimentaire, le soutien au secteur agricole, forestier et à la pêche, l’aide aux petites exploitations familiales orientées vers le marché intérieur. Cela a provoqué une réduction drastique de la quantité d’aliments disponibles sur le marché intérieur, une baisse de la capacité d’auto-approvisionnement des communautés paysannes et indigènes et une disparition forcée des habitudes alimentaires nationales, régionales et locales. Mais cela a également causé une perte des semences, des connaissances et des pratiques agricoles traditionnelles qui sont le résultat de la systématisation et de la transmission d’expériences millénaires, une augmentation des importations et de l’aide alimentaire extérieure, une balance commerciale et des paiements déficitaires, une aggravation du problème de la dette extérieure, etc.
Le marché libre ou l’État n’ont pas garanti et ne garantiront pas à eux seuls la sécurité alimentaire des nations et des individus. Une production suffisante et viable, une distribution efficace et adéquate, un accès équitable et approprié et une assurance quant à la qualité des aliments : tout cela peut être garanti de façon durable seulement par une distribution appropriée des fonctions et des responsabilités entre l’État, la société et le marché. L’État, la société et le marché doivent reconnaître et revaloriser les multiples contributions de l’agriculture et lui payer de retour sa production de biens et de services.
C’est un devoir des États, des sociétés urbaines et de la communauté mondiale que de revaloriser et renforcer les agricultures paysannes et indigènes familiales en Amérique Latine, sans exclure d’autres façons de produire durablement des aliments. Cela suppose un ensemble de réformes qui doivent s’intégrer aux lois fondamentales et spécifiques de chaque pays : accès équitable à la terre ; la mise en place de systèmes de financement, de commercialisation, de recherche, de formation, d’éducation et de vulgarisation ; mise en place d’une infrastructure pour les secteurs des services et de l’industrie ; établissement de programmes pluriannuels décidés par le législateur pour encourager et développer les agricultures paysannes et indigènes, en reconnaissant et respectant leur autonomie et leur capacité à produire.
Etant donné le caractère intrinsèquement incertain de l’agriculture et l’instabilité des marchés agricoles internationaux, on doit créer un nouveau système de commerce juste et une stabilisation des marchés. Il faut étudier les possibilités d’installer des réseaux de réserves de denrées alimentaires afin de réorganiser le système mondial d’approvisionnement et faire face aux crises alimentaires.
L’accès à la nourriture est fonction de la distribution du revenu et du pouvoir d’achat des salaires. Le marché à lui seul n’a conduit qu’à une concentration accrue du revenu, une augmentation du chômage, une diminution du pouvoir d’achat des salaires. C’est pourquoi il est indispensable que s’établissent des politiques explicites et délibérées visant à une distribution plus équitable du revenu, aussi bien à la campagne qu’en ville, à une protection du pouvoir d’achat des salaires, à une fiscalité progressive, etc.
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, Amérique Latine
Ce texte fait partie d’une série de cas portant sur la question de la sécurité alimentaire, recueillis parmi les membres du réseau Agriculture paysanne et modernisation (APM)lors de la rencontre de Yaoundé, en septembre 1996.
Littérature grise
RIAD=Réseau interaméricain agriculture et démocratie, Note de travail pour le réseau APM, 1997 (France)
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