04 / 1998
Les processus de désintégration des États multinationaux d’Europe de l’Est ont, en général, provoqué en Occident une réaction de défense du statu quo, accompagnée de la condamnation des "particularismes nationalistes". Cette position est due au manque de compréhension de deux questions fondamentales : le droit des peuples à l’autodétermination et la question des droits des minorités. Or, la transformation de l’Europe de l’Est provoquera l’apparition de nouveaux États et, par conséquent, l’actualisation de la question des minorités.
La question des minorités et de leurs droits a fait l’objet de nombreux traités internationaux entre États européens depuis le XVIe siècle. Les normes positives des droits des minorités stipulées dans les traités de paix conclus après la première guerre mondiale pourraient, en particulier, toujours être interprétés comme lois applicables aujourd’hui.
Les questions suivantes se situent au coeur du problème de la protection des minorités dans le droit international contemporain : la relation entre prévention de la discrimination et protection des minorités ; la teneur essentielle des droits des minorités ; les droits des minorités en tant que groupes dans le contexte de la législation des Droits de l’Homme ; la relation entre les droits des minorités et le droit des peuples à l’autodétermination.
La question du rapport entre les droits des minorités et le droit des peuples à l’autodétermination apparaît dès que s’ouvre le débat sur les droits collectifs des minorités. L’opinion dominante aujourd’hui notamment à l’ONU est que les minorités, par principe, ne peuvent pas réclamer le droit à l’autodétermination. Toutefois, certains auteurs considèrent, en revanche, que le principe d’autodétermination pourrait s’appliquer aux minorités, bien qu’ils ne donnent pas d’indication claire sur le mode de réalisation de ce principe. Pour Ian Bronwnlie, par exemple, les questions d’autodétermination, de traitement des minorités et de statut des peuples indigènes sont une seule et même chose, "c’est-à-dire tout ce qui a trait aux droits et revendications des groupes par rapport à leurs propres histoires et à leurs identités culturelles". Or, historiquement, le succès de l’autodétermination a dépendu très largement de facteurs extralégaux, principalement politiques. En fin de compte, tout peuple capable d’exprimer sa propre volonté politique et se trouvant en situation de minorité peut légitimement réclamer son droit à l’autodétermination. Il n’est donc pas possible de proposer aujourd’hui de normes juridiques applicables à toutes les situations.
L’évolution actuelle du droit international en Europe, notamment à travers de la CSCE et du Conseil de l’Europe, offre une grand variété de dispositifs concernant les minorités, ce qui ouvre la possibilité d’un choix. L’évolution future pourrait se traduire par des mesures en faveur des minorités dans le cadre de la coopération transfrontalière, des accords sub-régionaux ou dans les traités bilatéraux. C’est le cas, par exemple, du Traité germano-polonais de 1991, qui contient une série de dispositions concernant la minorité allemande de Pologne et la minorité polonaise d’Allemagne.Commentaires : La question des minorités se trouve au centre de toute une série de situations de crise et de conflits en Europe centrale et orientale. Elle s’est exprimée de façon dramatique avec la guerre et le nettoyage ethnique qui ont accompagné l’éclatement de l’ancienne Yougoslavie ; elle reste toujours dangereusement posée dans les conflits du Kosovo et du Haut-Kharabah.
Contrairement aux attentes de certains, la solution aux problèmes des minorités, notamment dans l’ex-Yougoslavie, n’a pas été cherchée dans la reconnaissance des droits de minorités, mais dans l’élimination, principalement par le déplacement des minorités en question. Dans le cas de la guerre du Haut-Kharabah, la question a été réglée, pour l’instant, par l’intégration, suite à la victoire militaire des Arméniens, de l’enclave à la République d’Arménie, et par la modification de facto de la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
L’élaboration d’un véritable droit des minorités reste pourtant essentiel pour le maintien de la paix en Europe. Ceci est revendiqué, d’ailleurs, par les populations qui sont effectivement minoritaires. Par contre, il serait illusoire de penser qu’il pourrait être appliqué dans les situations des populations qui, tout en étant minoritaires au sein de l’État auquel elles sont rattachées, sont majoritaires dans leur propre territoire. C’est le cas des Albanais du Kosovo, des Arméniens du Haut-Kharabah ou des Tchèchenes qui, eux, réclament l’indépendance ou leur rattachement à un autre État. L’auteur a sans doute raison lorsqu’il s’interroge sur les changements actuels qui risquent de déboucher sur des réaménagements territoriaux fondés sur les revendications de certaines nationalités minoritaires. Si cela devait être le cas, des modifications des frontières seraient toujours préférables aux nettoyages ethniques pratiqués en Serbie, Croatie et Bosnie.
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, Europe
C.Cratchley est un sociologue chilien, spécialiste des questions touchant les minorités ethniques.
Livre
TÜRK, Danilo, Le droit des minorités en Europe, Kimé, 1992 (France)