español   français   english   português

dph participe à la coredem
www.coredem.info

dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Le phénomène de l’exclusion sociale au Brésil

Alain FORGEOT

10 / 1993

L’exclusion sociale se définit le plus souvent par des conditions socio-économiques. Si elle s’aggrave avec la crise économique actuelle au Nord comme au Sud, elle ne naît pas de la crise, mais la précède. Pour analyser l’exclusion sociale, il faut également tenir compte des racines historiques qui ont fondé le développement économique et social de la société.

Dans le cas du Brésil, la discrimination, lors de la colonisation, entre Européens et Amérindiens, puis envers les Noirs venus comme esclaves définit une société duale à caractère ethnique.

A la fin du XIXème siècle, l’esclavage est aboli lors de l’avènement de la république. La "révolution de 1930" marque une volonté politique d’agir dans le domaine social. Le suffrage universel (vote des femmes)permet une relative démocratisation. Cependant, l’exclusion du droit de vote des analphabètes (la majorité des populations rurales et des communautés non européennes)maintient un processus d’exclusion à caractère ethnique.

Dans les années 1950, la croissance économique forte, l’urbanisation, l’amélioration du niveau scolaire permettent la construction d’un espace public d’égalité et une nouvelle forme de citoyenneté permettant un recul de l’exclusion sociale.

Entre 1965 et 1985, le régime militaire interrompt ce processus, même si "l’inclusion" par la croissance économique se poursuit. L’absence d’espace démocratique limite les initiatives locales, la vie associative, la connaissance réelle de la pauvreté et de la discrimination.

A partir de 1985, le gouvernement du président Sarney donne l’espoir de pouvoir lier croissance économique, politique sociale et développement politique. La persistance de la crise économique de 1981 jusqu’à nos jours brise cet espoir. La pauvreté et l’exclusion ont retrouvé un niveau supérieur à celui de 1970 (plus de 40 % de la population). "La culture de la violence s’amplifie, conduisant le pays à un état de guerre civile dissimulée séparant d’un côté ceux qui sont "protégés par un mur" ("amuralhados")et, de l’autre, ceux qui ont faim ("famélicos"). Cette dualité sociale de la société brésilienne est marquée par le poids du passé : inégalité régionale entre le Nordeste sous-développé et le Sud-Est industrialisé, accentuation du clivage social : "les pauvres sont toujours majoritairement noirs". L’exclusion est donc avant tout entre une société en majorité d’origine européenne et des minorités ethniques marginalisées.

Les droits sociaux reconnus par la constitution de 1988 ne sont pas appliqués. "La plupart des droits restent sans réglementation, l’indifférenciation entre le public et le privé persiste, laissant la sphère du droit dans le flou et la confusion, ce qui rend possible le maintien du comportement consistant à "ignorer" le pauvre en tant que citoyen et en tant que sujet. Ainsi se produit une dichotomie au sein de la société où l’on voit se dessiner ce qu’aujourd’hui il est convenu d’appeler un "apartheid non réglementé" ou "apartheid social" (selon l’expression de Buarque).

La spécificité de l’exclusion sociale au Brésil s’organise autour de "clivages d’ordre économique, social, culturel, sexuel et racial qui se reproduisent dans l’inertie des structures historiques à caractère discriminatoire à l’égard des Indiens, des noirs, des femmes, des pauvres, etc." D’après Vera Telles (1992), "c’est dans la trame de la société que se reproduit la normativité qui génère l’exclusion".

La crise économique aggrave et révèle les relations sociales qui génèrent l’exclusion. L’exclusion sociale est donc antérieure à la crise. Elle alimente même cette crise en bloquant la société sur des pratiques discriminatoires contraires à "l’idéal de modernité" et participe à une "balkanisation" de l’Etat en fonction d’intérêts particuliers contraires à "l’esprit public".

La lutte contre l’exclusion semble indispensable pour la survie de la démocratie et pour sortir de la crise économique. A titre d’exemple, l’auteur suggère trois types de stratégies :

- distribution d’aide alimentaire aux exclus qui meurent de faim, soutien aux organisations populaires, à la mobilisation des quartiers, au combat politique, à la création de micro-entreprises...

- articuler entre elles les diverses instances de l’appareil d’Etat -fédérales, municipales- et les associations représentant la société civile

- soutenir et stimuler les initiatives locales ainsi que leur articulation avec des politiques publiques qui les rendent efficaces.

Développement et Civilisations - Centre international Lebret-Irfed - 49 rue de la Glacière, 75013 Paris, FRANCE - Tel 33 (0) 1 47 07 10 07 - France - www.lebret-irfed.org - contact (@) lebret-irfed.org

mentions légales