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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Le développement : Histoire d’une croyance occidentale

Jean Christophe LALLEMENT

07 / 1998

Le mot révolution est de ceux dont on abuse à notre époque avide de sensationnel au risque de voiler à nos yeux l’importance de certaines transformations en profondeur qui ont bouleversé non seulement les institutions, mais encore le mode de vie et la manière de penser des hommes. A ce niveau, deux faits seulement dans l’histoire de l’humanité rompent la continuité des millénaires. C’est d’abord, à l’époque néolithique, la découverte des techniques de l’agriculture et de l’élevage et c’est, toujours en cours depuis les premiers ébranlements des XVIè et XVIIè siècles, la révolution industrielle. La révolution néolithique avait permis à l’homme de maîtriser certaines forces biologiques pour son alimentation. Les révolutions industrielles vont lui donner le contrôle de certaines forces physiques, quasi infinies comparées à celles utilisées auparavant, dont la disposition va elle-même provoquer des progrès en chaîne dans tous les domaines de la production, de la consommation, de la vie sociale, intellectuelle, morale. Cependant, la plupart des découvertes qui rythment les étapes des révolutions industrielles sont le fait de plusieurs techniciens souvent éloignés les uns des autres mais qui, confrontés aux mêmes problèmes, aboutissent à des solutions voisines. Et ces problèmes naissent eux-mêmes de toute une évolution qui intéresse à la fois les techniques, l’économie, la société, les mentalités. En fait, et à vue d’homme, c’est une révolution permanente que nous vivons, si rapide aujourd’hui que l’humanité peine à la suivre et à modifier, en fonction des moyens nouveaux dont elle dispose, ses réflexes, ses habitudes, ses institutions, son système de valeurs civiques et morales. Dans cette course folle, les inégalités sociales prennent un aspect d’autant plus inadmissible que l’éducation et l’information permettent à chacun, paysan indien, ouvrier des favellas ou salarié français, de voir ce qu’il n’a pas et qu’une répartition plus juste des fruits d’un développement mieux dominé pourrait lui donner. La révolution économique est porteuse de révolution politique.

Toutefois, en matière de révolution, l’impulsion ne vient pas forcément, loin s’en faut, des masses laborieuses. A la fin de 1948, la politique étrangère américaine était en pleine effervescence, obligée de faire face aux changements considérables qui survenaient un peu partout dans le monde. Le 20 janvier 1949, le Président Truman prononçait le traditionnel "discours sur l’état de l’Union" dont l’une des quatre idées forces devait infléchir formidablement la politique internationale de cette fin de XXè siècle. Les trois premiers points concernaient la poursuite du plan Marshall, la création de l’OTAN et le soutien à la nouvelle Organisation des Nations Unies. Mais le point IV fit l’effet d’une bombe en introduisant une nouvelle vision du monde par le biais du concept de sous-développement. Implicitement, le monde non-communiste se trouvait divisé en "développés" et "sous-développés" et le développement, la croissance économique, devenaient de facto les seules politiques capables d’assurer à l’humanité épanouissement et prospérité. Cette nouvelle manière de découper le monde servait remarquablement les intérêts américains tout en discréditant l’ancien système colonial établi par les nations européennes et dont le démantèlement ouvrait l’accès à de nouveaux marchés. Néanmoins, la force persuasive et la séduction que dégage le concept même de développement ont permis de faire le consensus autour de sa réalisation et les politiques mises en ouvre, qui ont mobilisé tant d’énergie durant ces dernières décades, n’ont pas seulement servi d’alibi à cet impérialisme anti-colonial. Depuis la conférence de Bandoeng en 1955 jusqu’à la conférence de Rio (Sommet de la Terre)en 1992, une foule d’experts, onusiens, gouvernementaux ou non, universitaires, etc., ont multiplié les analyses, rédigé une somme considérable de rapports et soumis maintes propositions afin qu’aboutissent dans les faits les politiques de développement. Tout ou presque fut remis en question sauf justement le concept même. Car, en dépit de l’effort fourni par tant de grands esprits et malgré une bonne volonté nourrie de bonnes intentions, l’avenir radieux promis par la croissance est sans cesse remis aux calendes. Pis encore, le fossé qui sépare les plus riches des plus pauvres, d’un bout à l’autre de la planète, et malgré la production toujours plus grande de richesses, n’a cessé de se creuser. D’autre part, la poursuite de la politique productiviste, qui sous-tend l’idéologie du développement, met désormais en péril l’équilibre de la Biosphère.

Face à ce constat, Gilbert Rist, Professeur à l’Institut Universitaire d’Etudes du Développement à Genève, propose une analyse critique de l’histoire du développement. A partir de cette analyse, il développe une thèse selon laquelle le développement peut être considéré comme élément d’une religion moderne issue des métamorphoses d’un mythe occidental. En dégageant certains caractères observables à partir des pratiques économiques et sociales et en éliminant toute forme de présupposé, Gilbert Rist propose les éléments d’une définition : "le développement est constitué d’un ensemble de pratiques parfois contradictoires en apparences qui, pour assurer la reproduction sociale du groupe dominant, obligent à transformer et à détruire de façon généralisée le milieu naturel et les rapports sociaux en vue d’une production croissante de marchandises (biens et services)destinées, à travers l’échange, à la demande solvable." Une définition scandaleuse ?

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