Un ministre, un gouvernement, est appelé à prendre une décision dans une affaire complexe aux enjeux importants : déchets nucléaires, manipulations génétiques, effet de serre, vache folle,... Ils demandent à des experts scientifiques de leur fournir les éléments de la "connaissance de cause" dont ils ont besoin ou feignent d’avoir besoin. Or les scientifiques n’ont généralement pas de réponse aux questions que posent les politiques, ou du moins pas de réponse directement fondée sur leurs savoirs. S’ils acceptent de répondre, ils ne peuvent exprimer que des opinions ou des convictions fondées sur leurs pratiques scientifiques. Telle est la raison majeure des conflits entre experts. Ceci me (Ph. ROQUEPLO)conduit à opposer à la pratique de l’expertise confidentielle celle de l’expertise comme plaidoirie. Lorsque un gouvernement craint un débat public qu’il redoute de ne pas pouvoir maîtriser, il a tendance à ne faire appel qu’à des expertises confidentielles. Celles-ci présentent un double inconvénient. Le premier est une grande opacité ; et il n’est pas sûr que le pouvoir politique soit pleinement informé de la complexité des questions. Le second est de conduire l’administration, faute de confrontation directe des experts entre eux, à faire la synthèse des expertises et contre-expertises. La seule manière d’éviter un usage technocratique de l’expertise semble être de recourir au modèle des procès judiciaires. Des avocats plaident l’un contre l’autre en présence du juge. La "connaissance de cause" n’est pas apportée au juge par chacune des plaidoiries considérée isolément, mais par l’espace qu’ouvre devant lui leur confrontation. L’ensemble des décisions envisageables ayant été grosso-modo défini, chaque expert serait investi de la fonction de plaider scientifiquement le bien-fondé d’une décision et de contester scientifiquement le bien-fondé des autres. L’un pourrait par exemple raisonner à partir du principe de précaution, l’autre à partir de la recherche du profit maximum, et les deux aspects concourraient à la décision du gouvernement. La manière dont chaque expert effectue des choix dans le stock des savoirs scientifiques disponibles en fonction de la décision qu’il est chargé de plaides serait rendue manifeste. On verrait apparaître l’articulation des reliefs du savoir à ceux des décisions.
La "connaissance de cause" serait ainsi offerte aux politiques dans sa complexité et ses incertitudes voire ses ignorances, et ceci sans que les politiques soient si peu que ce soit mis au garde à vous devant la science.
science et société, audit, Etat, administration publique
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Proposition particulièrement intéressante de Ph. Roqueplo, à rapprocher de l’expérience danoise des "conférences de consensus".
Il s’agit de la transcription de l’essentiel du compte-rendu de l’intervention de Ph. ROQUEPLO sur ce thème au colloque "Science, pouvoir et démocratie" organisé en hommage à Martine Barrere les 4 et 5 octobre 1996 à Paris
Articles et dossiers ; Document audio
ROQUEPLO, Philippe, AITEC=ASSOCIATION INTERNATIONALE DE TECHNICIENS, EXPERTS ET CHERCHEURS, Science, pouvoir et démocratie - pour une société responsable, AITEC in. Les carnets de l'AITEC, 1997/12, Hors-série numero 13
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