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Une histoire insolite : la dévaluation du Franc CFA contribue à dégrader les sols africains

Rabah LAHMAR

05 / 1997

Le système de production agricole prédominant en Afrique subsaharienne est basé sur la pratique de cultures itinérantes. Ce système traditionnel comporte une période de culture généralement courte (1 à 3 ans) et une période de jachère, longue, destinée à restaurer la fertilité du sol, prélevée par les cultures. L’on comprend que, plus la durée de la jachère est longue, plus grandes sont les chances de restauration de la fertilité du sol. Ce système est donc durable tant qu’il y a suffisamment de terres autorisant de longues périodes de jachère.

Les conditions économiques et la démographie que connaît le Bénin, font que cette agriculture est devenue non durable. La réduction de la période de jachère (5 ans en moyenne dans la sous-préfecture de Sakété dans l’Ouémé) se traduit par une baisse des rendements surtout dans la région sud où, pourtant, il n’existe encore ni une véritable culture de rente ni un marché qui pourrait inciter les paysans à une certaine intensification.

Face au déclin de la fertilité et aux dégradations des sols et de l’environnement qui s’en suivent, on vulgarise, depuis quelques années, le mucuna. Il s’agit d’une légumineuse, qui, utilisée comme plante de couverture, non seulement protège le sol contre l’érosion mais étouffe le développement des adventices et notamment le chiendent (Imperata cylindriqua) qui envahit les sols appauvris. En outre, le mucuna améliore la structure du sol et l’enrichit en azote.

Malheureusement toutes ces vertus, reconnues au mucuna, n’ont pas suffit à le faire adopter par les paysans. Le mucuna n’est ni comestible, ni commercialisable ; il est, de ce fait, assimilé à une plante adventice, à une « mauvaise herbe ». On ne cultive pas une plante inutile !

A cette difficulté, vient s’ajouter, dans la sous-préfecture de Sakété, un autre obstacle, non des moindres : la « marchandisation » du chiendent née de la dévaluation, en 1994, du franc CFA (Franc de la Communauté Financière Africaine, monnaie en cours dans toute l’Afrique de l’Ouest). En effet, le coût des feuilles de Tôles et des matériaux de construction s’est élevé. Les villageois se tournent de plus en plus vers les pailles de chiendent pour faire ou refaire les toitures de leurs habitations. Ainsi, le chiendent qui se récoltait gratuitement dans les champs où l’on pouvait en trouver a acquis une valeur marchande et commence à être vendu. Il n’existe pas encore d’unité standard de mesure pour ce commerce qui a tendance à se développer. Toutefois, à l’heure actuelle, l’acheteur du chiendent donne pour un lopin d’environ 9m2, 1000 francs CFA et un litre de Sodabi (boisson alcoolisée locale, à base de vin de palme).

Les paysans savent bien que le chiendent envahit les sols qui s’appauvrissent et s’acidifient suite à des cultures successives. Ainsi, si le commerce du chiendent se développe, il est fort probable, que les paysans vont chercher à appauvrir volontairement leurs sols.

Une des solutions possibles à cet épineux problème serait d’accélérer les recherches dans le sens d’une amélioration de la qualité organoleptique des graines du mucuna pour les rendre comestibles et donc commercialisables. Les graines du mucuna sont riches en levodopa, une substance qui provoque des vomissements et la confusion mentale chez l’homme.

C’est à cette seule condition que la culture du mucuna deviendra utile pour le paysan et que l’on pourra espérer sa généralisation pour lutter contre la dégradation des sols du Bénin.

Mots-clés

agriculture itinérante, agriculture paysanne, agriculture vivrière, sol, dégradation des sols, assolement, commerce


, Bénin

dossier

Des sols et des hommes : récits authentiques de gestion de la ressource sol

Commentaire

Des paysans qui appauvrissent volontairement leur sols pour quelques francs CFA et une bouteille d’alcool… C’est de l’histoire à méditer !

Alors que l’Afrique tropicale n’a pas encore réussi à asseoir les conditions d’une agriculture durable, voilà une décision politique, ne relevant même pas de l’autorité de l’État, qui balaie d’un revers tous les efforts de recherche et de vulgarisation déployés pour lutter contre la dégradation des sols et la dégradation des conditions de vie des populations rurales qui s’en suit. Que peuvent attendre les africains de la mondialisation qui sonne déjà aux portes ?

Source

Thèse et mémoire

HOUNGBO, N. Émile, Faculté des Sciences Agronomiques, Université Nationale du Bénin, Les problèmes d’allocation de ressources liés à la production durable du manioc au Bénin. Étude de cas de la sous-préfecture de Sakété, 1996/12 (France)

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