07 / 1996
L’agriculture de demain n’est pas seulement dans les dossiers des ministères, dans les laboratoires ou dans la tête des utopistes. Elle est déjà, aussi, sur le terrain. Des initiatives multiples sont prises par des agriculteurs et des ruraux dans tous les pays du monde. Christophe Beau en a repéré et sélectionné un certain nombre, qui lui semblent répondre aux défis de l’agriculture de demain. Il ne s’agit pas là de pratiques résiduelles d’une autre époque ni de résistances de marginaux. Pour les groupes repérés ici, la mondialisation des échanges est une donnée à intégrer. Mais ils tentent également de répondre à d’autres défis : intégrer le coût de la préservation de l’environnement dans le prix des produits, rapprocher producteurs et consommateurs, développer la pluri-activité rurale, engager un dialogue social sur les fonctions de l’agriculture, expérimenter des techniques plus extensives et moins polluantes, etc. Ces expériences peuvent être regroupées en sept "familles" :
- les agricultures vivrières écologiques qui commercialisent des produits sous labels. En Méditerranée, des organisations de producteurs biologiques se concertent pour favoriser la transparence du marché, jouer sur leurs complémentarités et se renforcer mutuellement plutôt que se concurrencer.
- les agricultures économes ou extensives basées sur un bas niveau d’intrants, dont les produits sont vendus dans les filières conventionnelles. En Europe, leurs résultats commencent seulement à être reconnus, après des décennies d’expérimentation. En France, la prise de parole politique de groupes d’agriculteurs contribue à donner de l’écho à leurs propositions.
- les filières commerciales "équitables" de produits tropicaux, qui intègrent les coûts sociaux et environnementaux dans le prix des produits. Des expériences existent en ce qui concernent le café, des projets sont en cours pour les bois tropicaux. Pour qu’elles réussissent, les critères d’une production durable doivent être négociés par des acteurs multiples, du Nord et du Sud, qui soutiendront la mise en place de la filière.
- le renouveau des jardins familiaux, urbains ou ruraux. On les croyait disparus, voilà qu’ils renaissent à la faveur de la crise : potagers populaires d’Argentine, jardins sauvages de Pologne, agriculture urbaine du Bénin... Ce sont des réponses ponctuelles mais ils constituent un appoint important dans de nombreuses situations difficiles et représentent parfois des espaces de convivialité et d’apprentissage.
- le développement de la pluri-activité en milieu rural, suscité par des impératifs d’entretien du territoire et de revitalisation sociale. La pluri-activité est souvent une condition du maintien de l’agriculture dans les régions difficiles, même si elle ne conduit pas nécessairement vers des pratiques plus écologiques.
- les systèmes intégrés, combinant harmonieusement des productions complémentaires, agricoles ou non. Après la grande vogue des années 70, ils étaient quelque peu tombés dans l’oubli. Leurs points faibles : leur faible capacité de diffusion et leur difficulté à s’adapter à des modifications du contexte. Ils se désintègrent donc mais quelques uns de leurs acquis se maintiennent sous des formes plus souples.
- les alliances producteurs-consommateurs et l’instauration de nouveaux dialogues ville-campagne. Les "ferias de consumo" du Venezuela, vastes marchés urbains où des coopératives d’agriculteurs alimentent des populations modestes, ou les Co-op du Japon, dont la création a été impulsée par des associations de mères de famille, montrent que des groupes d’acteurs dont les intérêts pourraient sembler antagonistes parviennent à établir des alliances, à susciter une forte participation populaire et à ajuster l’offre et la demande.
Ces exemples révèlent une richesse d’initiatives qui tendent vers une société plus juste et solidaire. Les efforts des acteurs ruraux interpellent les cadres macro-économiques et suggèrent des pistes à suivre. A l’heure où les politiques agricoles sont en panne, il faut laisser plus de place à ceux qui font bouger l’agriculture.
agriculture, agriculture paysanne, agriculture urbaine, agriculture et environnement, marché agricole, innovation
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Rapport
BEAU, Christophe, GEYSER=GROUPE D'ETUDES ET DE SERVICES POUR L'ECONOMIE DES RESSOURCES, Peut-on nourrir le monde ? Agricultures durables et sécurités alimentaires mondiales, FPH in. Document de travail, 1993 (France), n° 38
GEYSER (Groupe d’Etudes et de Services pour l’Economie des Ressources) - Rue Grande, 04870 Saint Michel l’Observatoire, FRANCE - France - www.geyser.asso.fr - geyser (@) geyser.asso.fr