06 / 1996
A la fin des années quatre-vingt, après trois décennies de transfert de techniques dites modernes, l’aide au développement dans les Andes ne paraît pas très efficace aux yeux d’une petite équipe de techniciens agricoles locaux, qui décident alors de fonder leur travail auprès des petits paysans sur la revalorisation de leurs savoirs. C’est ainsi que naît le Pratec, une ONG pas comme les autres appuyée par la FPH pendant plusieurs années.
Leur démarche ne tarde pas à déborder du champ technique pour s’avancer dans celui de la culture. Les agronomes s’aperçoivent en effet que les pratiques et les savoirs paysans n’ont de sens et de cohérence qu’au regard d’une conception globale de l’homme et de ses relations avec les autres êtres vivants, d’une organisation sociale particulière, d’une vision du développement et du progrès. Le monde andin n’est donc pas vide de connaissances, mais plein d’une autre logique, d’une autre modernité à qui il faut donner les moyens de s’épanouir. Comment ? En légitimant ces savoirs paysans et les conceptions qui les sous-tendent. C’est à partir de là que pourra se définir un développement adapté aux sociétés andines. Voilà l’essentiel des options qui orientent le travail du Pratec. L’équipe favorise l’échange d’expériences entre paysans, appuie les initiatives de revitalisation de savoirs andins, soutient les organisations paysannes qui revendiquent leur identité andine, mène des recherches afin de comprendre la logique des sociétés andines, tente de convaincre les développeurs et l’opinion publique en général de respecter la culture des communautés paysannes des Andes.
L’expérience du Pratec interpelle : pourquoi insister sur la tradition quand tout développement passe par le changement ? Pourquoi insister sur l’andin à un moment où les échanges se multiplient ? Soumis au feu des questions d’une vingtaine de participants à la rencontre, François Greslou argumente et défend les options de ses amis péruviens.
Premier débat : celui de la dialectique interne-externe. Le choix d’un appui à la culture andine part de l’observation de ses spécificités, malgré des siècles de contact avec la culture occidentale. Pour F. Greslou, le métissage culturel n’existe pas, des apports extérieurs à la culture andine ont été adoptés par les communautés paysannes mais en étant "andinisés", intégrés à une cosmovision particulière. La démarche du Pratec part du refus de l’uniformisation culturelle et le conduit vers le choix de marquer les différences et faire reconnaître les spécificités andines. Dans le contexte actuel de conquête de la culture occidentale, au nom de valeurs soi-disant universelles qui sont fort contestables, promouvoir un dialogue entre les cultures reviendrait à favoriser les contacts entre le requin et la sardine... Cela ne suppose pas un isolement : par exemple, le monde andin doit établir des relations avec l’Etat péruvien. Mais il doit pouvoir le faire à travers ses autorités reconnues et non pas par l’intermédiaire de représentants choisis par l’extérieur.
Dans ce contexte, que devient l’intervention extérieure ? Il faut passer d’une approche classique de l’aide au développement en termes de transfert, qui vise à faire passer aux paysans andins des connaissances extérieures, à une démarche visant à redonner à la population un rôle plus actif, lui donnant la parole et confortant sa confiance en ses propres capacités. L’intervenant joue alors un rôle plus humble, mais certainement pas plus simple. Pour le Pratec en effet, les savoirs paysans ne sont que la porte d’entrée qui s’ouvre sur une vision globale du monde et de l’homme, qu’il faut comprendre et respecter.
Est-il raisonnable de revaloriser la culture locale alors que les économies mondiales s’interpénètrent et que le monde communique de plus en plus ? Oui, affirme François Greslou, car les cultures locales ne représentent pas un bastion défensif condamné à moyen terme, mais les laboratoires de modernités différentes. Certaines valeurs andines, comme la solidarité des communautés paysannes ou leur refus de considérer l’économie comme le pilier central de la vie en société, sont partagées par bien des groupes sociaux de pays pauvres. Il convient de développer des synergies entre toutes ces forces.
Durant plusieurs décennies de coopération, le Nord a tenté d’apporter sa modernité au Sud. Ne serait-il pas urgent de laisser la place au développement endogène des cultures dominées, voire même d’apprendre d’elles et de favoriser des échanges dans le sens Sud-Nord ? L’unité du monde doit se construire dans le respect de sa diversité.
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, Pérou
Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…
GRESLOU, François, La revalorisation des savoirs paysans, FPH in. Document de travail, 1991 (France), n° 19
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