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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Du Sud vers le Nord

La Grameen Bank, une expérience difficile à adapter en France, une occasion de dialogue fructueuse

Pierre Yves GUIHENEUF

04 / 1996

La Grameen Bank, née au Bangladesh dans les années soixante-dix, est une institution de crédit destinée aux familles les plus nécessiteuses, qui offre des prêts sans garantie ni caution autre que l’engagement moral de l’emprunteur. Les sommes prêtées sont destinées à des projets productifs ou à l’habitat. La Grameen Bank, institution sans but lucratif, connaît d’excellents résultats économiques (taux de recouvrement des prêts de l’ordre de 97 à 99 %). Elle a connu un développement foudroyant et constitue désormais un organisme financier important. En 1989, elle comptait plus de 500 agences, 8000 salariés et 500.000 membres et octroyait chaque mois quelques 5 millions de dollars de prêts. La Grameen Bank est aussi un succès du point de vue du développement en milieu rural : elle a permis d’innombrables réalisations.

Expérience-phare, au niveau mondial, dans le domaine du crédit au service des plus pauvres, la Grameen Bank a suscité des tentatives analogues dans des dizaines de pays de tous les continents, notamment dans certains pays riches comme les Etats-Unis, le Canada ou la France. Des succès incontestables ont été enregistrés. Des difficultés aussi. Aux Etats-Unis par exemple, les tentatives piétinent à cause de la forte dissémination géographique des personnes défavorisées, insuffisamment concentrées, en quelque sorte. En France, le bon remboursement des prêts est compromis par le manque de "pression sociale" ou de solidarité des emprunteurs entre eux : au contraire du Bengladesh, la pauvreté en France est souvent synonyme de rupture du lien social. Par ailleurs, fait remarquer Maria Nowak de l’Association pour le droit à l’initiative économique, la débrouillardise au Bengladesh se mue quasiment en culture d’entreprise. Il n’en va pas de même en France, où les systèmes de protection sociale ont des effets pervers, comme celui d’entrainer leurs bénéficiaires dans la dépendance et la passivité. En outre, les frais de structure sont considérablement plus élevés en France, le différentiel entre les taux d’intérêt auxquels une banque prête et emprunte ses ressources ne permet pas de bénéficier des mêmes avantages que ceux dont dispose la Grameen Bank et, enfin, les projets sont plus difficiles à rentabiliser. Tout cela fait dire à Maria Nowak que la Grameen Bank a inspiré des principes novateurs qui sont toujours dignes d’intérêt, mais que les modalités d’application doivent être radicalement différentes et adaptées au contexte français. Un certain nombre d’organismes spécialisés dans la réinsertion travaille depuis plusieurs années à la mise au point de systèmes de financement des activités économiques des populations défavorisées, ce qui ne débouchera pas nécessairement sur la création d’une "banque des pauvres", comme cela était conçu à l’origine.

Cependant, même si la Grameen Bank ne trouve pas en France d’institution à son image, l’expérience a été l’occasion de fructueux échanges. Des spécialistes de divers pays se sont par exemple retrouvés à Paris en 1992, à l’invitation de la Fondation Charles-Léopold Mayer pour le progrès de l’homme, afin d’échanger des expériences sur le crédit aux plus défavorisés : dialogues inhabituels où les Européens font état de leurs difficultés et où les Bengadeshis se risquent à formuler quelques suggestions... L’expérience de la Grameen Bank a cependant eu en France un résultat positif très concret : son énorme impact a permis de montrer qu’il était possible et même économiquement intéressant de faire crédit aux plus pauvres, que ceux-ci pouvaient développer des activités durables pour peu qu’on leur fasse confiance. Une caution que bien des organismes ont su mettre en avant pour faire avancer leur cause.

Mots-clés

partenariat, coopération internationale, banque


, France, Bangladesh

Commentaire

Difficile de concevoir une "French Grameen Bank"... Cette expérience de coopération internationale "à l’envers" montre que la richesse qui peut naître de la reconnaissance de l’autre ne suppose pas nécessairement que l’on adopte ses pratiques. Autrement dit, même si les compétences professionnelles des responsables de la Grameen Bank sont incontestables, même si leur réalisation connaît un succès exemplaire, ce n’est pas pour autant qu’elle est applicable partout en l’état. Pour juger de la pertinence d’une pratique, rien de tel que des personnes connaissant bien la situation économique, sociale et culturelle dans laquelle elle est censée s’insérer. En revanche, une fois ces principes acquis, l’échange peut donner lieu à des relations réciproques et un enrichissement mutuel de chacun des partenaires. Ces quelques enseignements pourraient inspirer les acteurs de la coopération "classique", celle qui s’exerce habituellement du Nord vers le Sud.

Source

Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…

FPH=FONDATION CHARLES LEOPOLD MAYER POUR LE PROGRES DE L'HOMME, Vers une banque solidaire pour le crédit aux plus défavorisés, FPH in. Document de travail, 1992 (France), n° 22, Croissance n° 370, avril 1994 (Dossier : "Pays du sud donneraient conseils à Nord en crise"). Origine et développement de la Grameen Bank à Dacca, par Muhammad Yunus : fiche DPH n° 700, 1989. Une banque pour les pauvres, la Grameen Bank, par Maria Nowak. in : Histoires de développement n° 1, IESL (30 Rue Ste Hélène, 69002 Lyon), 1988.

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