Les trois niveaux de l’analyse de Fernand Braudel vus par François-Xavier Verschave
04 / 1996
Dans son livre "Libres leçons de Braudel", F.-X.Verschave décrit la société comme la superposition de trois étages : celui, informel, de l’économie de subsistance ; celui, codifié, de l’économie de marché ; et celui, obscur, de l’économie-monde. Puis, il transpose cette lecture braudélienne de l’économie à d’autres domaines de la vie en société : la politique, le sport, la religion ou même la gastronomie ... Il en existe, nous dit-il, trois niveaux d’exercice : le premier est celui de l’informel, le second est soumis à des règles, le troisième s’en est affranchi. A ces niveaux d’exercice de la pratique sociale correspondent des acteurs bien identifiés, qui se côtoient mais dont les rapports aux règles sociales ne sont pas les mêmes. Dans le premier espace, les règles sont souvent le fruit de rapports de force et n’ont qu’une validité limitée. Le second espace est la partie la plus visible de la pratique sociale, là où le droit régente les rapports entre les individus. Dans le troisième, on retrouve les rapports de force et l’arbitraire.
En posant cela, l’auteur nous offre une grille de lecture de la société. C’est un schéma explicite, facilement compris et transposable à de multiples domaines. C’est aussi une grille mobilisatrice : en posant la question du respect des règles de la vie en société, en estimant que la finalité de l’action citoyenne consiste à permettre à ceux du rez-de-chaussée de disposer des garanties offertes par un système de règles transparent et à obliger ceux du troisième niveau à respecter les règles qu’eux-mêmes ont édictées, ou encore en soulevant le problème de la communication entre les acteurs des différents étages, cette vision du monde offre à l’individu des espaces de mobilisation. Elle donne un sens à des actions multiples en leur offrant une perspective de convergence.
Toute grille de lecture est cependant réductrice, et celle-ci n’échappe pas à la critique. A vouloir séparer le monde en trois niveaux, on risque de tomber dans des analyses trop rapides. Où commence un étage et où s’arrête l’autre ? A quel étage situer l’Etat, un acteur incontournable du changement social ? Faut-il mettre dans un même sac, sous prétexte d’appartenance à un appareil public, les centres de pouvoir et les simples fonctionnaires ? A trop vouloir "faire rentrer" tel ou tel acteur dans l’un ou l’autre des étages, on risque de caricaturer son comportement ou de procéder à des amalgames, de façon à justifier a posteriori l’analyse. Ces risques de dérapage ne sont pas propres à la tripartition de Braudel-Verschave. L’analyse marxiste et bien d’autres ont parfois conduit à des simplifications abusives sous prétexte de vulgarisation.
Une grille de lecture de la société et du changement social est donc à manier avec précaution. Sous cette réserve, celle-ci peut se révéler étonnamment féconde et soulève de nombreuses questions : comment nouer des alliances entre les acteurs des différents étages ? Quels sont les enjeux de la revendication citoyenne ? Comment rendre plus lumineux les étages et plus transparents les comportements de chacun ? L’analyse a en effet l’immense mérite de placer l’acteur social au coeur du changement et d’inviter à une mobilisation renouvelée de chacun dans le fonctionnement de la Cité.
acteur social, secteur informel, économie, rôle de l’Etat, citoyenneté, réseau de citoyens, histoire politique, marché mondial
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Ce document est le compte-rendu du séminaire de saint Sabin "Comment la société change". Il existe également une fiche sur l’ouvrage de F.-X. Verschave : Libres leçons de Braudel (Syros, 1994).
Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…
FPH=FONDATION CHARLES LEOPOLD MAYER POUR LE PROGRES DE L'HOMME, Il n'y a pas de lumière à tous les étages, FPH in. Document de travail, 1995 (France), n° 70
GEYSER (Groupe d’Etudes et de Services pour l’Economie des Ressources) - Rue Grande, 04870 Saint Michel l’Observatoire, FRANCE - France - www.geyser.asso.fr - geyser (@) geyser.asso.fr