De l’agriculture à l’environnement, expériences innovantes en région méditerranéenne
03 / 1996
En Lozère, dans l’Aude, dans l’Hérault, dans les Pyrénées orientales, on trouve des agriculteurs d’un nouveau genre : un berger employé par plusieurs communes pour entretenir la garrigue d’un massif montagneux et prévenir les incendies, des paysans hôteliers aménageurs de sentiers botaniques, des éleveurs protecteurs de la montagne... Des gens qui montrent que l’on peut être agriculteur et aussi façonner des paysages, préserver des écosystèmes, réduire des risques naturels. L’environnement, parfois perçu comme une contrainte imposée aux agriculteurs par la société, peut aussi représenter pour certains d’entre eux, en particulier dans les régions défavorisées, une véritable opportunité pour améliorer leur revenu, consolider leur légitimité, donner un sens à leur travail. Au niveau local, ce peut également être l’occasion de redéfinir des projets de territoire, de susciter une mobilisation sociale, d’enrichir les rapports humains.
Il faut considérer cette évolution du travail agricole comme une source d’innovations. Les agriculteurs candidats au changement doivent repenser leur système de production, prendre des risques, engager leur crédibilité professionnelle, adapter leurs techniques, résoudre des problèmes juridiques et fiscaux, entamer un dialogue avec d’autres groupes sociaux autour des objectifs et des moyens de la protection de la nature. Ce faisant, ils contribuent à faire évoluer le métier d’agriculteur dans un sens plus conforme aux attentes actuelles de la société. ils s’engagent également de façon active dans un débat social qui sera celui des prochaines décennies : la définition de nos rapports avec le vivant et des modes d’intervention de l’homme sur son environnement. Appuyer les innovateurs est une nécessité pour une société rurale qui doit évoluer, mais il faut veiller à ne pas en faire une élite d’entrepreneurs ni perdre de vue le fait que leur expérience doit aussi être utile à ceux qui n’innovent pas encore, pour leur donner cette liberté.
La gestion des espaces ruraux est un sujet fréquent de conflit : ces espaces sont en effet largement collectifs, au moins dans leur usage, et donnent lieu simultanément à plusieurs utilisations : promenade, chasse, cueillette, production agricole ou forestière... Or, les utilisateurs appartiennent à des groupes sociaux différents et ont de la nature des visions distinctes. Leur dialogue est peu fréquent et difficile, leurs besoins évoluent et sont différenciés. Se mettre d’accord sur un schéma d’aménagement se révèle souvent complexe et certains spécialistes estiment même qu’il convient à l’Etat (et à ses administrations)de légiférer pour éviter les conflits. Ce que montrent les expériences présentées ici, c’est que la concertation locale peut déboucher sur des formes d’accord satisfaisantes pour tous et engager une forme de dialogue social. Les médiateurs doivent favoriser l’expression des objectifs de chacun, les faire comprendre et respecter par les autres, percevoir les conceptions culturelles de la nature qui les sous-tendent. Trois outils peuvent contribuer à aplanir les différends : un découpage précis du territoire et la détermination de zones à vocations prioritaires, qui s’interpénètrent autant que possible ; les compensations financières permettant de faire face à d’éventuels investissements et surcoûts ; les innovations techniques qui rendent compatibles certains usages entre eux.
Les surcoûts supportés par les agriculteurs pour rendre compatibles la production alimentaire classique et la production d’un environnement bien entretenu sont difficiles à chiffrer, diffèrent très fortement selon le milieu et le niveau des objectifs fixés, évoluent avec le progrès des techniques. En tout état de cause, les abaisser est un objectif immédiat. Pour l’agriculteur, cela passe notamment par la recherche de complémentarités entre ses productions de diverses natures. Pour la puissance publique, cela passe par la prise en charge des coûts d’apprentissage (formation)et de transaction (conseils, médiation des conflits)et la réduction des risques engagés.
Les contrats de gestion négociés localement, souvent au cas par cas, pour assurer des services de protection de l’environnement constituent une formule souple et facilement adaptable aux spécificités locales. Pour être efficaces, ils doivent passer par des processus de concertation permettant de faire s’exprimer et se rencontrer une offre et une demande sociales concernant la gestion de l’espace rural. Cette offre et cette demande s’influencent mutuellement et évoluent avec le temps, elles sont un reflet du débat social et de la constitution des préférences collectives. C’est pour cela que des outils flexibles et très décentralisés comme les contrats de gestion peuvent être précieux. ils ne sont pas nécessairement coûteux : dans certains cas d’aménagement concertés, les subventions publiques sont minimes ; dans le cas de la prévention des incendies de forêt, elles sont moindres que s’il fallait faire intervenir les administrations forestières. Mais ils demandent de la concertation sociale, donc du travail d’animation et de médiation qui suppose une formation particulière et une reconnaissance professionnelle. ils demandent également que soit reconnu aux acteurs locaux un pouvoir réel, partagé avec les autorités compétentes, pour décider de l’environnement dans lequel ils veulent vivre.
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, France
Livre
GUIHENEUF, Pierre Yves, Les paysans verts, SYROS ALTERNATIVES, 1994 (France)
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