Cet article est le fruit d’un échange avec Mohamed LAHCINE (administrateur de Fraternité Teisseire), Hassan BOUTEMINE (jeune joueur), Farid DERBAL (jeune conseiller foot). Comment vivent-ils les relations entre générations à travers leur association : Fraternité Teisseire.
UN PEU D’HISTOIRE TANT IL EST VRAI QUE L’HISTOIRE ÉCLAIRE LE PRÉSENT
Un quartier de Grenoble "en difficulté" suivant l’expression consacrée. Des jeunes qui dérivent, des pères, qui ont "trimé" toute leur vie, retraités pour la plupart voient, avec angoisse leurs enfants s’engager dans une impasse sociale. Ils se rencontrent "en bas", parlent et l’envie naît de "faire quelque chose". Différents incidents dans le quartier les font passer de l’envie à l’action. La démarche est difficile mais en novembre 1992, l’association Fraternité Teisseire naît officiellement. Les objectifs sont ambitieux, donc flous. Créer un lieu de rencontre, intervenir sur le quartier aux niveaux culturel, sportif... en bref, exister. Fin 1993, un local de 50 m2 est attribué à l’association par la mairie. à cette période, des jeunes du quartier qui souhaitaient jouer au foot ensemble depuis un moment jouer demandent l’aide et le soutien de l’association pour créer une équipe Teisseire. Celle-ci est immédiatement d’accord. S’ensuit une période de travail collectif : recherche de fonds, contacts avec la Fédération de foot, création du club, suivi administratif... Khaled, Akim TAFFER, France 3, Radio France Isère et le Vice président du tribunal parrainent l’équipe ; des sponsors financent pour partie, l’Opale (organisme Hlm)leur confie la distribution de son journal et les rémunère. Le club de foot obtient des résultats. C’est une équipe reconnue et appréciée...
L’association, se développe et diversifie ses activités. Le "café", lieu de rencontre, est très fréquenté. Un journal a vu le jour. Un coiffeur du "bled" exerce quelquefois ses talents. Une soirée sur l’acquisition de la nationalité française est organisée en partenariat avec l’Office dauphinois des travailleurs immigrés (ODTI). Un projet de Point information jeunesse prend forme avec la mission locale. Fraternité Teisseire est reconnue comme un interlocuteur sur le quartier et participe au conseil d’administration de la régie de quartier, aux réunions organisées dans le cadre du développement social urbain... Les administrateurs se forment au fonctionnement associatif avec l’ODTI. En avril 1996, la mairie leur octroie un nouveau local, flambant neuf, de 100 m2.
L’INTERGÉNÉRATIONNEL ? ÉCOUTONS-LES
Qui est dans l’association et comment fonctionne-t-elle ?
Mohamed : "Ce sont des habitants du quartier, algériens installés ici depuis de nombreuses années, des retraités après une vie de labeur pour la plupart, quelques uns en activité... Beaucoup ne savent ni lire, ni écrire, cela ne les empêche pas, je vous assure de prendre des décisions.Toutes les décisions passent par le conseil d’administration. C’est vrai qu’on traîne parfois dans la prise de décisions parce qu’il faut qu’il y ait consensus, mais c’est aussi une garantie, le prix à payer si on veut que tout le monde soit actif et concerné."
Hassan : "Nous les jeunes on n’est pas dans l’association en tant que telle, on est dans le directoire, c’est-à-dire le conseil d’administration plus trois jeunes (le trésorier, le secrétaire et l’entraîneur du club). C’est là que sont décidées les orientations de l’équipe... C’est un peu lourd parfois, il y a des frictions, les jeunes c’est le feu et les "vieux" la couverture qui empêche le feu de faire des ravages... C’est complémentaire et ça fonctionne. Il est question en 1996 que les "jeunes" rentrent au conseil d’administration."
Farid : "Un club de quartier comme le nôtre a besoin de tout le monde : des joueurs et des "pères" qui prennent en charge presque toute la logistique... De toute façon, les associations de jeunes ne durent pas, chez nous ça marche grâce aux "vieux"... Les "vieux" c’est le savoir, le respect."
Mohamed : "L’intergénérationnel c’est difficile, c’est une négociation permanente sur tout, du grave au futile. Il faut ériger des règles, formaliser... Et puis, pour un certain nombre d’administrateurs, ça ne fait que trois ans qu’ils savent qu’ils existent comme décideur, c’est un apprentissage de gérer cette réalité là... Jusque là, ils n’existaient que comme arabe et "manar", maintenant ils se retrouvent face à des gens importants : élus, responsables d’institutions et ils négocient, ils discutent. Pour eux c’est nouveau."
Qu’est -ce que cette démarche apporte au quartier, aux jeunes, à vous, aux "vieux" ?
Mohamed : "On a recréé en quelque sorte un conseil des sages tel que dans la tradition (el j’mouä)un lieu où se débattent des idées, où se règlent des conflits, où on vient chercher des conseils. Du même coup, les pères se sont requalifiés en tant que père et des habitants du quartier ont trouvé ou retrouvé un lieu à eux, on pourrait presque dire un lieu ressource..."
Hassan : "Les vieux" c’est nos pères, réels ou symboliques, et pour nous c’est important qu’ils gagnent ou regagnent le respect des jeunes, notre respect."
Farid : "Oui c’est vrai, ici c’est eux les patrons, ils décident, ils s’expriment..."
Hassan : "Et puis on parle d’eux et de nous, dans la presse, à la télévision et c’est bien... C’est mieux d’ouvrir le journal et de voir que le club a gagné un match important ou que l’association a participé à un événement plutôt que tout a été cassé ou que tel jeune est mort d’une overdose... Je ne dis pas que ça a disparu mais au moins il n’y a pas que ça !"
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Comment êtes-vous perçus sur le quartier ?
Mohamed : "Au début on était satan. Je crois que cela a évolué mais on fait peur. En fait plusieurs structures se "partagent" le quartier : le centre social, la maison des jeunes, la maison de l’enfance qui forment un peu des groupes de pression et qui ont peur qu’on leur prenne du pouvoir, des jeunes, des habitants, de l’argent. Heureusement, dans ces structures il y a des personnes qui ont tout de suite compris l’intérêt de ce que nous faisions. On a dû s’imposer et il faut continuer, on commence à être reconnus et même appréciés."
Hassan : "On fait aussi des jaloux, et puis les autres associations sont très cloisonnées, nous aussi d’ailleurs."
Mohamed : "C’est vrai, on est une majorité d’algériens et tous maghrébins et hommes, au moins dans les instances parce que dans les activités c’est différent heureusement ! L’équipe de foot est vraiment cosmopolite, il y a même un croate ! et les filles commencent à s’impliquer dans des projets."
Fraternité Teisseire, 1, rue Paul Cocat Grenoble. M. BOUTEMINE, tél : 04 76 24 08 91
Entretien avec LAHCINE, Mohamed; BOUTEMINE, Hassan; DERBAL, Farid
Entretien ; Articles et dossiers
CR-DSU=CENTRE DE RESSOURCES SUR LE DEVELOPPEMENT SOCIAL URBAIN, Jeunes entre ségrégation et intégration sociale in. Les cahiers du CR-DSU, 1996/09 (France), n°12
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