Le bateau des femmes arabes pour la paix
11 / 1996
D’Alger à Bassorah, l’épopée du bateau des femmes arabes pour la paix a eu pour objectif de signifier la volonté de paix des femmes du monde entier alors que les hommes, chefs d’Etats ou majorité de citoyens ordinaires percevaient l’intervention militaire comme la seule façon de régler un conflit.
En effet, immédiatement après l’invasion du Koweit par l’Irak en août 1990, des bruits de botte se firent entendre avec l’envoi dans le Golfe arabo-persique de forces militaires occidentales considérables. Cette opération avait le soutien des résolutions du Conseil de sécurité alors que la Charte des Nations Unies prévoit que tout doit être tenté pour sauver la paix et prévenir la guerre. En particulier, la charte prescrit l’ouverture de négociations à tout prix, éliminant l’établissement de conditions préalables dictées par le plus fort, alors que les négociations proposées par l’Occident à l’Irak étaient subordonnées à des exigences préalables.
Seules, les femmes ne se laissèrent pas intimider par cet arsenal de mesures juridiques et militaires, les premières ayant pour but de donner une respectabilité et une légitimité à l’étalage de la force, les secondes de montrer à l’Irak et aux pays dominés que les puissances dominantes entendaient user de la guerre plutôt que de perdre le contrôle du pétrole dans cette région. Par suite, pour contrer la "logique de guerre" et montrer leur volonté de paix, les femmes des pays arabes se réunirent au Yemen. Elles voulaient, dans le même temps, marquer leur opposition à un blocus militaire qui, pratiqué au lendemain de l’invasion du Koweit, avait déjà fait des victimes parmi les enfants irakiens et jordaniens privés de lait et de médicaments.
Dans ce but, elles décidèrent d’affréter un bateau, le Ibn Khaldoun, et d’organiser un périple d’Alger au port irakien de Bassorah et elles invitèrent des femmes des pays de la Coalition dirigée contre l’Irak (Europe, Etats-Unis et Japon)à participer à leur voyage. Sur le même bateau, se retrouvèrent 282 femmes de pays arabes accompagnées de quelques enfants, des Occidentales et des Japonaises, montrant ainsi que la négociation était la seule véritable alternative à la guerre. En outre, les participantes du bateau entendaient témoigner leur solidarité aux enfants d’Irak menacés dans leur santé et dans leur droit à la vie en leur apportant une cargaison de lait en poudre et de farine.
L’expérience du bateau des femmes arabes pour la paix met en lumière les qualités remarquables qu’elles déployèrent dans la préparation et la conduite de cette expérience :
- Capacité de planification en organisant le voyage, d’une durée initialement prévue de 18 jours, pour quelque trois cents femmes et une quinzaine d’enfants. Cette capacité se révéla aussi dans les collectes d’argent pour acheter le lait en poudre et la farine. Ces denrées étaient hissées à bord du navire à chaque escale dans les ports arabes.
- Capacité d’organisation de la vie quotidienne où la solidarité entre les femmes fonctionna très vite pour l’entretien des locaux, la préparation de soirées artistiques de grande qualité qui se déroulaient à bord tous les soirs, la tenue de conférences et la confection d’un journal de bord collectif. - Témoignage de courage quand elles tinrent tête à l’attaque de dizaines de militaires américains, anglais et australiens qui, déguisés et armés jusqu’aux dents, furent parachutés sur le bateau dans le Golfe arabo-persique, à la veille de leur arrivée à Bassorah. Ils se livrèrent à des actes de violence d’une sauvagerie inouïe à l’égard des femmes, des enfants et des membres masculins de l’équipage.
- Témoignage de la résistance à l’intimidation de la violence armée quand elles refusèrent de se plier aux injonctions des envahisseurs du bateau qui leur enjoignaient jeter à la mer leur cargaison de lait et de farine. Elles préférèrent subir pendant deux semaines la soif, la faim, les coups et leurs conséquences plutôt que d’obéir. Finalement, après deux semaines d’invasion du bateau, elles obtinrent que les denrées soient déchargées dans un port de la mer d’Oman et envoyées à des enfants soudanais. - Témoignage de solidarité entre ces femmes, arabes, occidentales et japonaises, refusant de se désolidariser aux heures les plus sombres des violences exercées par les militaires et de se faire rapatrier, sauf deux cas de maladie cardio-vasculaire. Toutes furent unanimes pour résister le plus longtemps possible aux prétentions des envahisseurs.
- Témoignage de maîtrise d’une situation de crise quand, privées d’un approvisionnement normal en eau et aliments par suite des sanctions infligées par les envahisseurs et de la durée du voyage plus longue que prévue, elles procédèrent à des rationnements équitables.
- Témoignage de maturité politique quand, au plus fort de la crise, elles réussirent à prendre contact avec la Croix Rouge et à s’adresser au secrétaire général de l’ONU et aux chefs d’Etat des pays arabes pour les informer des violations des droits humains dont elles et les membres de l’équipage étaient victimes.
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Quand les femmes se mobilisent pour la paix, la citoyenneté, l’égalité des droits
Sans doute les femmes du Ibn Khaldoun n’ont-elles pas réussi, comme elles le souhaitaient, à imposer la paix ou à arrêter une guerre qui fut déclenchée au lendemain de leur arrivée à Bassorah. Mais elles ont démystifié l’affirmation du Conseil de Sécurité selon laquelle l’alimentation et les médicaments ne faisaient pas partie du blocus imposé à l’Irak. Elles ont ébranlé la légitimité d’un Conseil de Sécurité qui prétend définir les règles d’un nouvel ordre mondial alors qu’il viole impunément les droits inscrits dans la Déclaration universlle des droits de l’homme.
Le fait que la Coalition ait parachuté des forces armées sur un bateau occupé par à peine plus de 300 femmes et quelques enfants révèle combien les hommes se sentent remis en question par le potentiel de paix que représente la solidarité sans frontières des femmes. Le silence des grands medias révèle aussi que, pour les décideurs de guerre et les marchands d’armes, il serait dangereux de laisser les femmes prendre conscience de leur force et s’organiser car, alors, la guerre des hommes serait menacée de disparaître et la paix pourrait triompher.
Pour les femmes qui ont participé au Bateau pour la paix, cette expériene a marqué le début de leur engagement dans une lutte qui dure depuis plus de six ans pour la suppression du blocus de l’Irak qui frappe cruellement un peuple et plus particulièrement ses éléments les plus vulnérables (enfants, personnes âgées, malades...)et auquel il faut mettre fin le plus tôt possible.
Livre
AL SADOON, Nasra, Le bateau des femmes arabes pour la paix, L'Harmattan, 1996 (France)
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