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Un surprenant réseau d’échange d’informations entre entrepreneurs

Le club des amateurs de bière à Ekaterinbourg

Maria ALEXANDROVITCH

12 / 1996

En 1994, le "club des amateurs de bière" se réunit tous les mercredis dans une maison des jeunes à la périphérie d’Ekaterinbourg. Fondé deux ans plus tôt, ce club réunit des entrepreneurs autour de bières et de poissons séchés. L’ambiance est détendue, strictement masculine puisque les femmes ne peuvent adhérer. Quelques orateurs viennent troubler les conversations : les hommes politiques locaux viennent faire un tour et essayer de convaincre des électeurs, voire une base sociale potentielle. Ils se font volontiers chahuter et se soumettent à des questions très directes. Vers une heure du matin, les participants se rendent aux bains (piscines, sauna, bains de vapeur)et continuent à discuter. L’ambiance est surréaliste : les hommes sont nus, ont beaucoup bu et discutent de leurs problèmes d’impôts!

En fait, ce type de clubs constitue à la fois un lieu d’échange, de convivialité, de socialisation et d’échange d’informations. Un entrepreneur ne cache pas le bénéficie qu’il tire de ces rencontres : "en un soir ici, je fais plus d’affaires qu’en un mois". La plupart des membres sont des jeunes entrepreneurs, souvent relativement riches (l’adhésion au club est assez chère et nécessite, par ailleurs, un parrain)et désireux de constituer un réseau de relations afin de faciliter leur activité. Les grands directeurs d’usines, les patrons issus de la nomenklatura ou du Parti communiste ne fréquentent pas le club. En général, les membres dirigent des petites entreprises commerciales, caractérisées par des profits spéculatifs, à court terme. Ils ont souvent démarré leur activité en 1988, au moment de la loi sur les coopératives.

Le fait qu’ils n’appartiennent pas à l’ancienne élite économique soviétique explique l’existence du "club des amateurs de bière". En effet, ils ont besoin d’informations afin de faciliter les démarches auprès des banques, des administrations, afin d’organiser leur protection ou de contourner une législation fiscale très étouffante. Ils n’ont pas de "vieux amis" dans les centres névralgiques des affaires russes. Le club permet donc au "nouvel entrepreneur" de parler de son travail et de trouver des soultions à ses problèmes. Voir ce lieu de rassemblement comme un "repaire de criminels", comme cela s’entend à Ekaterinbourg, est erroné. Dans un contexte législatif et politique difficile, le club permet à l’entrepreneur de mener son activité. S’il demande des conseils par rapport au paiement de ses impôts, il y a bien sûr de fortes chances que les solutions soient illégales ou visent à contourner la législation. Est-ce pour autant de la criminalité, lorsqu’on sait qu’en principe, 70% des bénéfices des entreprises sont ponctionnés par l’Etat? Le "club des amateurs de bières" offre un exemple pertinent de création de réseaux informels et corporatistes en marge de l’Etat. Honnêtes ou non, les entrepreneurs réunis contribuent à l’élaboration d’une société nouvelle et à la création d’une stratification sociale modifiée.

Mots-clés

petite et moyenne entreprise, secteur informel


, Russie, Ekaterinbourg

Commentaire

Ce type de "clubs" livre beaucoup d’enseignements sur la période que traverse la Russie depuis la fin des années 80. Les entrepreneurs non insérés dans l’élite économique soviétique traditionnelle se prennent en main et constituent leurs propres réseaux. Compte tenu de la législation en vigueur, la frontière entre entreprise et criminalité économique est ténue. Néanmoins, ce type d’initiatives doit être mis au crédit de la revitalisation de la société russe.

Source

Récit d’expérience

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