Dans le cadre de la journée scientifique sur "Eco-santé au Nord et au Sud", organisée par le réseau PRELUDE à Namur le 16 mars 1988, le Professeur Michael Singleton, l’un des initiateurs de la journée, nous décrit une face cachée de la culture africaine.
Comme au Zaïre, le guérisseur burundais est un être polyvalent: il est non seulement devin et voyant, mais aussi magnétiseur, magicien, nécromant, spirite, exorciste, rebouteux, oracle, aruspice. Eminence grise du chef, directeur de conscience, conseiller écouté, il est considéré comme un bienfaiteur de l’humanité. Rien n’échappe à sa compétence. Il prépare des amulettes protectrices, des charmes et des philtres d’amour. Il procure aux voleurs des onguents pour faciliter leurs vols. Il met sur la trace des objets perdus, disparus, volés. Les filles en mal de mari ont recours à lui. Les femmes stériles ou celles qui n’engendrent que des filles attendent de lui des remèdes adéquats. Ménages branlants, maris volages, vaches malades, accordailles, accouchements difficiles, naissances gémellaires, déménagements, procès, ordalies, sécheresse, excès de pluie, grêle, tout cela peut être réglé par le devin-guérisseur, ses incantations, ses talismans, ses techniques. L’herboristerie qui est largement pratiquée par l’ensemble de la population, ne lui est pas inconnue.
Pour le dire très simplement: si dans son village le guérisseur vient à bout d’un ulcère d’estomac ce n’est pas à cause de l’efficacité intrinsèque de la plante employée (lui et les siens savent qu’en soi les plantes ne servent souvent à rien)mais parce qu’il a pu faire un sort au voisin qui vous empoisonnait. Le guérisseur villageois est efficace précisément parce qu’il est villageois, c’est-à-dire parce qu’il est en mesure d’agir sur les membres du corps social responsables du mal de son client et de maîtriser ce mal. Or, en le sortant de son milieu et en l’insérant dans un lieu hospitalier, n’est-il pas réduit à fonctionner comme nos médecins, en ignorance des véritables causes sociales des maladies? Soigner quelqu’un pour un ulcère duodénal, alors que remédier à son statut de chômeur le guérirait plus certainement, est un non-sens proprement médical.
Dans le champ indigène, couvert par le terme "nganga", doté de sa cohérence et logique propre, nous découpons une zone cruciale et centrale, que nous nommons "médicale", et que nous estimons universelle, échappant au conditionnement culturel. Ce découpage, centré sur une ethno-logique occidentale en ignorance de la logique propre aux ethnies étudiées, donne lieu à de faux problèmes et donc à des solutions factices.
Or, aux yeux des gens, le nganga mbwa (le "médecin (de)chien", ce qui n’est manifestement pas un vétérinaire puisque son rôle est de règler rituellement la meute)est tout aussi nganga que le nganga mtu (le "médecin (d’)homme"). Est nganga, celui qui réussit à remettre de l’ordre là où le désordre menaçait. Est nganga celui qui rétablit un équilibre hypothéqué, est nganga celui qui remet en état de marche ce qui était déréglé, peu importe que le désordre, que le déséquilibre ait eu lieu dans le domaine météorologique, animal ou humain.
médecine traditionnelle, exclusion sociale et santé, choc culturel, système de représentation culturelle
, Afrique Centrale, Afrique de l’Est
Le conflit entre les deux conceptions est dû à la façon de les identifier. La médecine occidentale et la médecine dite traditionnelle n’ont apparemment pas de rapprochement possible. Une prise en compte de la dimension culturelle implique une analyse des rapports de force entre cultures. Une nouvelle conception en termes de négociation doit être un des fondements d’un codéveloppement. On ne peut y arriver sans comprendre la position de l’autre.
Articles et dossiers
SINGLETON, Michael, PRELUDE, Georges Thill in. Bulletin Prélude, 1988/09/01 (Belgique), 10-11
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