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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Echanger les savoirs, c’est changer la vie

L’idée-force à la base du Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs

Catherine LE GUEN

01 / 1994

A l’origine du Mouvement des Réseaux d’Echanges de savoirs (MRERS), une idée-force : tout le monde sait quelque chose, peut la transmettre et beaucoup de gens ont envie d’apprendre quelque chose. Il s’agit d’un échange réciproque de connaissances, d’expériences, de savoir-faire, à l’intérieur d’une structure de quartier très souple, mettant en relation des gens sur un principe de réciprocité, en dehors de tout rapport d’argent : A. enseigne le français à X. et Y. ; lui-même apprend à jouer de la guitare avec Z.; X. explique des recettes de cuisine, Y. donne un cours d’arabe...

Actuellement, 80 réseaux sont disséminés à travers la France, un premier colloque : "Echanger les savoirs, c’est changer la vie", a été organisé en novembre 89.

Claire Héber-Suffrin raconte comment elle a pris conscience, lorsqu’elle était institutrice à Orly, que tout savoir est une richesse faite pour circuler, et qu’en la communiquant on crée de la relation. A partir de là, elle a créé à l’école un RES (réseau d’Echanges de Savoirs)qui a fonctionné pendant quelques années. Puis, lorsque Claire et Marc, son mari, ont déménagé à Evry, un réseau a été lancé à l’initiative de Marc qui était alors adjoint au Maire, chargé des affaires sociales. Depuis, les réseaux se sont étendus à d’autres régions ; des sessions de "formation à l’animation et à la coordination des réseaux" ont été organisées ; des colloques ont eu lieu pour réfléchir sur les savoirs, sur les apprentissages, et questionner sans cesse la pratique des réseaux pour la faire avancer.

Le principe de parité : Claire et Marc citent Philippe MEIRIEU, professeur en sciences de l’éducation, qui dit : "On n’apprend qu’en situation de parité". Or les RES permettent de modifier le regard que l’on porte sur soi-même et sur les autres.

Le principe de réciprocité : c’est parce que l’on offre d’abord quelque chose "que l’on peut formuler sa demande en toute dignité"; le principe de réciprocité permet ainsi d’échapper à la logique d’assistance.

Le principe de pluralité : pluralité des savoirs, des modes d’apprentissage, des façons d’entrer dans le réseau, des motivations, des rythmes, etc. C’est important d’accepter que le réseau ait un sens différent pour chacun, car alors "on sort du mythe identitaire où il faudrait que l’autre soit comme moi pour que je puisse faire avec lui".

La nécessité de la médiation, définie par Philippe MEIRIEU comme étant à la fois "occasion de relation et occasion de séparation", prend la forme, au sein des RES, d’une triangulation dans laquelle chacun est à la fois médiateur entre les deux autres pointes du triangle et objet de médiation.

Mais les fondateurs des réseaux entendent bien appliquer les principes décrits à leur propre démarche, c’est pourquoi ils ne cessent de questionner le projet, la démarche des réseaux, notamment dans ses rapports à la pédagogie et au système scolaire, aux concepts de citoyenneté, démocratie et pouvoir, et à l’idée d’insertion.

Le MRERS entend oeuvrer à l’édification d’une société de circulation des savoirs fondée sur la coopération, sur la réciprocité, par opposition à une société de rétention des savoirs dont la logique est si bien illustrée par cette petite fille dont la réaction est rapportée dans le livre : "Mais si je lui explique, elle sera aussi". Pour cela, les postulats de départ sont : "chacun sait quelque chose" et "chacun peut apprendre". Ils permettent un recadrage, un changement de la relation au savoir et à l’apprentissage. C’est important pour ceux à qui "on a laissé croire que seule l’école les sauverait de l’ignorance" alors que dans des milieux favorisés l’échange a toujours constitué un mode parallèle d’acquisition de savoirs (au travers de rencontres, de voyages, etc.). Dans les Réseaux, on dit à des individus qui ont connu l’échec scolaire que l’erreur n’est pas un état dans lequel on est condamné à rester enfermé, mais un processus qui débouche sur autre chose. En ce sens, la fonction essentielle des Réseaux est sans doute la prise de conscience par chacun de ses savoirs et de ses modes d’apprentissage.

"Les Réseaux peuvent-ils être considérés comme étape/processus de l’invention de la démocratie ?", se demandent encore les auteurs. Oui, sans doute. Parce qu’il favorise l’autonomisation, le projet des Réseaux peut permettre à chacun d’y découvrir sa citoyenneté. En offrant les conditions pour le développement de dimensions du pouvoir (pouvoir choisir, pouvoir décider, pouvoir faire), les Réseaux donnent les conditions cognitives (c’est à dire en termes de savoirs)de la démocratie. En cela les Réseaux peuvent être vus à juste titre comme "façon de faire société".

Mais les rapports entre savoir et pouvoir sont ambigus ; en témoigne la réaction des politiques face au projet : ils l’approuvent car ils ont conscience de son utilité en tant que projet contribuant à "retisser du lien social" dans une société où il se délite de plus en plus, mais en même temps ils semblent avoir peur de la prise de pouvoirs, de l’autonomisation, et finalement de l’émancipation, de gens qui peuvent dès lors remettre en cause les pouvoirs des politiques eux-mêmes.

Cette tension entre deux pôles s’exprime également par rapport à la question de l’insertion sociale, terme lui-même soumis à controverse. De nombreux témoignages au sein des réseaux soulignent en effet le rapport ambigu de certains travailleurs sociaux en Réseaux, et le danger qu’ils s’approprient le projet des réseaux pour le transformer en outil de travail social, outil d’insertion, où les échanges de savoirs ne seraient plus qu’un prétexte. Or les Réseaux se veulent "avant tout projet social, façon de concevoir la vie avec les autres" et se refusent à être vidés de leur sens (qui est l’échange de savoirs)pour n’être plus considérés que comme un outil de travail social permettant de "colmater les brèches sociales pour qu’une partie de la société ne soit pas "gênée" par l’autre.

De plus l’idée de se servir des Réseaux pour "insérer" les gens est entièrement paradoxale dans la mesure où les Réseaux font le pari de l’autonomie, et sont fondés sur l’idée que chacun doit être l’auteur/acteur de sa propre démarche, sujet au sens "celui qui fait l’action". Or vouloir "insérer" quelqu’un, c’est précisément lui dénier sa capacité en tant qu’acteur, c’est vouloir "l’acter" ; d’ailleurs "le verbe insérer, pour une personne , ne devrait être que sous la forme pronominale".

Mots-clés

accès à l’information, communication, réseau d’échange de savoirs, échange de savoirs


, France

Commentaire

"On enseigne ce que l’on est, non ce que l’on sait" (Jean JAURES).

Reste la question posée par les auteurs : "Analyser à fin d’étude cette réalité des réseaux ne serait-ce pas la réduire considérablement ?".

Notes

On peut lire "Echanger les savoirs", de Claire et Marc Héber-Suffrin, Epi-Desclée de Brouwer, Paris, France, 1992, 319 p.

Source

Articles et dossiers

Des savoirs qui circulent : une éducation qui se repense in. COMUNICANDO, 1994/05/00 (France), N°25

CEDAL FRANCE (Centre d’Etude du Développement en Amérique Latine) - France - cedal (@) globenet.org

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