Cultures entre elles : dynamique ou dynamite ? Enquêtes et dialogues sur les rapports interculturels

« Vivre en paix dans un monde de diversité » était le thème d’une rencontre de Saint-Sabin, singulière, qui a rassemblé à la FPH une quarantaine de représentants d’ONG, de mouvements sociaux, d’organismes de recherche, de groupes divers provenant de Palestine et d’Israël, de Pologne, du Zaïre, du Pérou, d’Inde et du Brésil, de Taïwan, du Liban, d’Ethiopie et de bien d’autres pays. Animateurs de projets de développement, psychiatres, chercheurs, sociologues, agronomes ou designers… Tout ce qu’il faut pour ne pas se comprendre, tout ce qu’il faut pour s’enrichir mutuellement. Ce fut surtout une formidable occasion de capitalisation d’expérience. Chacun d’entre eux, en effet, avait été au préalable, « accouché » de son expérience interculturelle par des dialogueurs envoyés sur le terrain.

Le titre provocateur de ce dossier reflète l’ambiguïté même du concept de culture. Tous les auteurs saluent la diversité comme une richesse et cherchent à valoriser le dialogue interculturel, mais tous ne brandissent pas pour autant la bannière culturaliste. « Pour certains, explique Thierry Verhelst, la culture n’existe que dans un rapport de forces. Elle est manipulée par les puissants pour mieux dominer. La culture ne serait qu’un « truc au service du pouvoir » ou un réservoir de haines tenaces et un détonateur de conflits sanglants. D’autres voient dans la culture le moteur du développement, le dynamisme qui donne sens profond et direction à toute action humaine. La planète étant menacée d’uniformisation, il serait urgent de revitaliser les cultures, d’approfondir les identités, de sauver de l’oubli les langues et les savoirs, les proverbes et les modes indigènes d’organisation. Un peuple méprisé ne peut s’épanouir et lutter qu’avec un minimum d’estime de soi, et la faculté de prononcer une parole qui soit sienne. »

Qu’ils portent sur l’identité ethnique (Zaïre), sur la mémoire collective des Tzotzils (Mexique), sur le chant des sans-voix (Inde), sur l’école multiculturelle (Suisse) sur le rôle des femmes dans la création d’une culture de paix (Jérusalem) ou sur bien d’autres thèmes, les 24 dialogues qui sont présentés ici procèdent en tous cas d’un fort souci commun : celui d’élucider les malentendus interculturels, de faciliter la parole des exclus, de retisser des liens. Tous les témoignages montrent des gens à l’oeuvre pour construire une société plus humaniste, contraints par le style des rencontres de Saint-Sabin à parler au « je », sans se réfugier derrière les positions officielles de leur organisation, mais sans oublier le « tu » du dialogue : « Dès que l’on abandonne l’arrogante certitude de détenir seul la « vraie » connaissance, estime Pierre Calame dans la conclusion du dossier, tout dialogue se révèle confrontation et échange entre deux représentations du monde, manières de sentir, de penser, d’agir, d’animer, de prier, de fêter, de naître et de mourir. Reconnaître l’autre, reconnaître l’ignorance où l’on est de l’autre et son irréductible différence, c’est reconnaître qu’il y a « je » parce qu’il y a « tu ». Mais pour que ce dialogue survienne, il faut que les deux parlent. Il faut rendre la parole aux muets. » Sans oublier un « nous », plus global : « La planète est unique, ajoute-t-il, et il nous faut, sous peine de nous auto-détruire, apprendre à la gérer ensemble; mais elle est aussi infiniment diverse, et sa gestion devra se faire dans le respect de cette diversité. (…) Pour respecter l’autre, il faut que le désir de vivre ensemble l’emporte sur l’affirmation des différences. »