Quelques éléments à verser au débat
12 / 1996
Alain VILLARD a été pendant près de quinze ans, jusqu’en 1995, directeur de deux organismes H.L.M. dont la plupart des logements étaient situés en site DSQ d’abord, en contrat de ville ensuite. Une expérience professionnelle et humaine qui l’autorise à proposer ce point de vue sur l’impact des interventions sur l’exclusion urbaine et sociale.
La production de la ville a toujours été porteuse de centralité et de périphérie et donc naturellement de rejet de mise à l’écart. La ville a toujours présenté des quartiers riches et des quartiers pauvres et il suffit de reprendre l’étymologie des deux mots suivants "faubourgs" et "banlieues" pour s’en convaincre. Ces bourgs et ces lieux construits en dehors du noyau historique étaient tout simplement "faux" ou mis au "ban".
L’INTÉGRATION URBAINE A PROGRESSÉ
Aujourd’hui nous retrouvons cette sorte de loi d’airain sur les "quartiers prioritaires" où l’exclusion urbaine est présente, très présente. Construits à la hâte dans une période d’expansion économique très forte ces morceaux de ville se sont trouvés bien mal en point lorsque dans les années soixante-dix, quatre vingt, la crise économique a commencé de frapper durement. Alors tout le monde (les pouvoirs publics, les acteurs locaux, les habitants eux-mêmes)a cru que la solution au problème des banlieues était dans une lutte sans merci contre l’exclusion urbaine que connaissaient ces quartiers et au premier chef leurs habitants. La commission Dubedout s’est mise en route et nous avons investi ces quartiers pour les requalifier.
Après quinze ans d’expérience et de vécu de l’action publique nous devons constater que nous avons produit de l’intégration urbaine et d’une certaine façon de la cohésion sociale en travaillant les directions suivantes :
- le bâti qui a souvent été réhabilité, "recarrossé", mais dont on doit reconnaître qu’il était souvent en meilleur état que beaucoup d’autres éléments moins récents dans la ville ;
- les politiques d’attribution des logements et de peuplement se sont construites de manière plus formelles ;
- les activités commerciales et tertiaires ont souvent été fortement développées et ont permis d’apporter sur ces territoires les éléments de proximité nécessaires à une pratique urbaine de qualité ;
- les espaces extérieurs ont toujours été négligés au moment de la construction et ont nécessité ou nécessitent encore de gros efforts d’aménagement pour créer un peu de ville ;
- les relations avec le centre souvent insuffisantes ont été retravaillées soit en terme de voirie soit en terme de réseau de transports urbains.
Même si toutes ces actions engagées ne l’ont pas été de façon identique et homogène par tous, elles ont dans l’ensemble permis de bien faire progresser le sentiment d’appartenance urbaine et de façon simultanée de bien faire reculer le sentiment d’exclusion urbaine.
L’EXCLUSION SOCIALE S’ACCROIT
Mais si l’exclusion urbaine n’était qu’une composante de l’exclusion sociale, qu’une petite partie de ce malaise mal défini mais bien réel d’être en dehors, au lieu d’être exclus tout simplement ? Et si l’exclusion sociale était plus forte que tout et se nourrissait dans l’échec scolaire et le chômage ? Alors on répondrait que tout ce qui a été fait sur ces quartiers a beaucoup servi a faire reculer l’exclusion urbaine et donc certainement à entamer un peu la force du sentiment de l’exclusion sociale. Mais cette dernière plus forte que tout, puisant ces racines dans la misère économique, sociale et culturelle, est aujourd’hui la réalité incontournable de bon nombre d’habitants de ces grands ensembles. Emploi et sécurité sont à ce jour bien plus importants aux yeux des habitants que tous les discours que nous pouvons développer sur la qualité urbaine de ces quartiers. Bien sûr tout cela peut sembler un peu contradictoire. On peut aussi légitimement se demander ce que seraient devenus ces quartiers si depuis plus de quinze ans ils n’avaient pas bénéficié d’un traitement particulier.
Sans tomber dans une approche un peu simpliste voire manichéenne entre action sur le bâti et action en direction des habitants force est de constater que nous sommes aujourd’hui devant de nouvelles données. Il y a quinze ans la pensée dominante se nourrissait dans l’équation simple : la réhabilitation du cadre bâti de ces quartiers ajoutée à la fin de la crise économique entraînera le redémarrage de ces quartiers.
Nous devons constater que les faits sont plus complexes et que nous connaissons une situation où dans l’ensemble l’exclusion urbaine a certainement un peu reculé, mais ou l’exclusion sociale par contre s’accroît. Si ceci devait se vérifier, cela sous-entendrait que le plus gros des actions à engager demain sur ces parties de ville le serait en direction des habitants, sur les problèmes d’emploi, de sécurité et d’incivilités, beaucoup plus que sur le cadre bâti. Or notre système économique et politique sait bien mieux remplir la seconde fonction que la première. Peut-être cela aussi est il d’une certaine façon le révélateur de la crise de société que nous traversons ?
politique de la ville, aménagement urbain, exclusion sociale, milieu urbain, exclusion urbaine
, France
Articles et dossiers
CR-DSU, Projets urbains en DSU, CR-DSU in. Les Cahiers du CR-DSU, 1996/12 (France), n° 13
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