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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Donner aux enfants la liberté de se dire

Un camion atelier-peinture - Quartier de l’Arsenal à Saint-Fons (Rhône)

Vincent PLAZY

03 / 1996

Tous les mercredis quand il fait beau, au début de l’après-midi, un camion pénètre dans le quartier d’habitat social de l’Arsenal, à Saint-Fons. Avec à l’arrière une inscription en couleurs vives "P’titpeintrambuls- Atelier peinture mobile", cet ancien camion de marché réaménagé n’hésite pas à monter sur les trottoirs pour stationner au plus près des immeubles, à proximité des terrains de jeux des enfants, sur les lieux de rencontre des parents.

Visiblement, l’arrivée du camion ne passe pas inaperçue: Roger Rauzy, son chauffeur -animateur de l’atelier, a à peine le temps d’ouvrir la grande porte arrière que les premiers groupes d’enfants convergent vers le camion. Il les accueille, leur propose d’entrer pour mener un travail d’expression à l’aide de la peinture. Depuis quatre ans que l’animateur se rend ainsi régulièrement dans le quartier, il connaît bien aujourd’hui ces enfants, ce qu’ils vivent, ce qu’ils portent en eux. "Ce sont des enfants qui passent l’essentiel de leur temps libre dehors. Très peu sont inscrits dans les structures de loisirs de la ville. Le camion donne aux enfants la possibilité de créer l’image en dessinant quelque chose qui leur ressemble."

Pour beaucoup de ces enfants qui connaissent de grandes difficultés d’apprentissage, la peinture n’est qu’un moyen d’expression. L’objectif de l’atelier est de permettre à ces enfants de se livrer et en même temps de se "dé-livrer", en prenant la liberté de se dire, donc de devenir quelqu’un. L’animateur les invite toujours à signer leur peinture pour marquer "leur oeuvre, authentiquement personnelle".

Le fruit de l’action n’est donc pas à chercher du côté de l’objet-dessin. Même si la force de l’expression peut se lire dans certains dessins, ce qui est important, avant tout, est cette liberté prise par l’enfant quand il peint sa feuille blanche; surtout quand cet enfant connaît un certain nombre de blocages, tiraillé entre différentes cultures, confronté à l’impuissance des siens à intervenir sur son environnement, habitué à recevoir de l’extérieur des aides sans que celui qui vient à lui n’attende de lui quelque chose en retour.

"A travers les dessins, les enfants inscrivent leur vulnérabilité dans leur histoire. En peignant, l’enfant acclimate l’inconnu en lui. Le chef-d’oeuvre, c’est l’enfant, il faut qu’il sorte encore plus beau du camion. L’important, c’est que l’enfant, tout jeune, ait déjà la nostalgie d’un moment heureux." En effet, il n’est pas rare de voir l’enfant en train de peindre, faire des pas de danse entre la table-palette de peinture et sa feuille. Le camion n’est pas très grand mais les enfants entre eux apprennent à se respecter. "Le camion est comme une bulle qui leur permet de s’exprimer librement. Les enfants choisissent de venir et ils savent que dans le camion, il y a des règles à respecter. Ainsi, ils expérimentent ensemble des actes de paix."

Mais pour que l’enfant puisse ainsi prendre cette liberté de se dire, il a fallu que l’adulte qui l’y invite accepte lui aussi d’être vulnérable. L’animateur est arrivé la première année seul, dans un quartier qu’il ne connaissait pas et qui souffrait alors d’un certain isolement par rapport au reste de la ville. Il n’avait pas autour de lui une équipe d’animateurs chargés de quadriller le quartier et de maîtriser les groupes de gamins se précipitant sur ce nouveau venu.

En choisissant de stationner son camion au bas des tours d’immeubles, l’animateur accepte de dépendre de l’accueil fait par les enfants et par leurs parents. Ces derniers sont nombreux à observer de leur balcon les allers et venues autour du camion. Selon les lieux, selon les périodes, cet accueil fut plus ou moins facile : des jeunes ont perturbé l’atelier après que le camion se soit installé sur un nouvel emplacement qu’ils considéraient comme leur étant réservé; des parents ont, dans un premier temps, retenu leur enfant, s’interrogeant sur les intentions de l’animateur. Ainsi, certaines fois, l’animateur dut repartir sans avoir pu accueillir les enfants.

Cependant, acceptant cette vulnérabilité, lui-même est signe auprès des enfants et de leur famille de la démarche qu’il propose : offrir un lieu, un temps où l’expression sera possible même si on ne maîtrise pas tout ce que l’on porte en soi. Petit à petit, des parents manifestent leur intérêt pour l’atelier : certains aident l’animateur à manoeuvrer pour se garer et pour repartir; une maman propose un branchement électrique chez elle pour que les enfants puissent bénéficier d’un éclairage; des parents s’approchent pour discuter avec l’animateur à la fin de l’atelier.

L’action permet d’être témoin de la créativité à l’oeuvre

S’il est essentiel d’offrir à l’enfant, et dès le plus jeune âge, les moyens de cette liberté d’expression, le regard porté sur l’enfant en train de se dire est lui aussi déterminant. L’animateur lui-même se plaît à dire : "Je peins peu moi-même, mais j’ai un plaisir créatif à être témoin d’enfants qui peignent."

De nombreuses photos d’enfants en activité sont prises. Le visage épanoui de l’enfant avec son pinceau et sa feuille est alors le signe vivant que quelque chose en lui évolue positivement et que ceci est bien plus précieux que le dessin lui-même. Ces photos sont régulièrement exposées dans le quartier. Il est aussi important de proposer aux parents, aux adultes du quartier d’être témoins de ces visages d’enfants avec leur expression. Les responsables de l’action ont pu alors mesurer comment "être témoin" pouvait transformer le regard porté par les parents sur leurs enfants, le regard porté par des habitants sur les jeunes du quartier.

Mots-clés

animateur, développement culturel, loisir, quartier populaire, création artistique


, France, Rhône-Alpes, Saint-Fons

Commentaire

Aujourd’hui, le camion "atelier-peinture" est présent, outre les mercredis, à chaque temps festif du quartier. L’animateur souhaiterait que son camion offre aussi des possibilités d’expression à travers la musique, la poésie.

Malgré des propositions, les adultes demeurent réticents à venir prendre le pinceau dans le camion ; trop de pudeur semble-t-il. Toutefois, un "atelier -poésie" a démarré avec certains parents d’enfants accueillis à l’atelier, en collaboration avec le centre social.

Notes

R.RAUZY est le responsable de l’association "P’titpeintrambuls" et animateur du camion peinture.- tel : 04 74 53 29 52

Texte mis en fiche et diffusé par le CR-DSU=CENTRE DE RESSOURCES SUR LE DEVELOPPEMENT SOCIAL URBAIN, 4 rue de Narvik, BP 8054, 69351 Lyon cedex 08, FRANCE. Tel 78 77 01 43. Fax 78 77 51 79

Entretien avec RAUZY, Roger

Source

Document interne ; Entretien

MRIE RHONE ALPES=Mission régionale d'information sur l'exclusion, Agir avec les plus défavorisés, MRIE RHONE ALPES, 1996 (France)

MRIE RHONE ALPES (Mission Régionale d'Information sur l'Exclusion) - 14 rue Passet, 69007 Lyon, FRANCE - Tél. 33 (0)4 37 65 01 93 - Fax 33 (0)4 37 65 01 94 - France - www.mrie.org - mrie (@) mrie.org

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