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Le deuil impossible des femmes de Srebrenica

Sophie ZACCHARIA DUVILLIER

09 / 1997

Le 11 juillet 1995, Srebrenica, enclave protégée par les Nations Unies, tombait après plusieurs mois de siège aux mains des attaquants serbes. 34.000 personnes prenaient la route de l’exode. Cette route les conduirait à Tuzla. 10.000 personnes (essentiellement des hommes)étaient portées disparues.

Automne 1996 : les fouilles des charniers ont débuté depuis quelques mois à la demande du tribunal international pénal de la Haye. Une unité spéciale des Nations Unies, en collaboration avec l’association " Physician for Human Right ", dirige les fouilles.

Une de ces personnes m’a fait un point sur la situation des disparus de Srebrenica :

Ils ont à ce jour déterré environ 500 cadavres dans plusieurs charniers autour de Srebrenica. Sur ces 500 cadavres, seuls 20% des corps ont été identifiés. Les corps (seulement des hommes, aucune femme ou aucun enfant n’ont été trouvés pour l’instant)avaient pour la plus part les yeux bandés et les mains liées derrière le dos et 2 à 20 balles dans le corps.

Il semble certain que les tueurs ont essayé systématiquement d’éliminer les identités des victimes. On note aussi que certains charniers ont été déplacés ou détruits.

Pour ces spécialistes des charniers (ils ont travaillé au Rwanda), il sera impossible d’identifier tous les cadavres, ni même de retrouver tous les cadavres. Ils pensent dans le meilleur des cas pouvoir déterrer environ 2.000 cadavres et donc approximativement seulement 20 % d’entre eux révéleront leur identité.

Parallèlement à ces recherches morbides, les femmes de Srebrenica réclament justice. La présidente de l’association des femmes de Srebrenica m’a dit que les femmes de Srebrenica ont à présent un coeur de pierre et qu’elles attendent leurs hommes. En clair, les femmes de Srebrenica sont persuadées qu’il reste encore beaucoup d’hommes prisonniers dans les camps serbes.

D’après les représentants des organismes internationaux il y aurait peut-être quelques cas isolés mais certainement pas plus d’une centaine d’hommes...

Qui va le dire aux femmes de Srebrenica ? Qui va parler aux femmes de Srebrenica alors que celles-ci vous regardent droit dans les yeux en disant qu’elles espèrent encore le retour de leurs maris...

Le CICR5 (Comité International de la Croix-Rouge, en charge de la recherche des disparus)n’est pas étranger à la confusion qui règne dans les esprits. A vouloir fournir des informations justes et sans failles, le CICR a redonné vie aux "disparus " dont tout le monde soupçonnait la mort depuis bien longtemps.

Bien sûr il faut des cadavres, des sépultures décentes pour les maris, les fils, les frères, les pères pour que les femmes de Srebrenica débutent leur deuil et si cela ne suffisait pas et si les cadavres n’étaient pas retrouvés ? pourraient-elles faire leur deuil?

L’un des spécialistes des charniers rencontrés à Tuzla nous rappelait la situation des femmes de la Place de Mai en Argentine. Leur groupe s’était scindé après un temps : il y avait les femmes qui considéraient leurs fils toujours disparus et celle qui se concentraient sur une demande de justice. Les femmes de Srebrenica vont certainement suivre ce chemin, cet exemple et on peut imaginer que certaines attendront toujours le retour de leur cher disparu.

Mots-clés

femme, personne disparue, victime de guerre, guerre, génocide, mémoire collective, paix et justice


, Bosnie-Herzégovine, Srebrenica

Notes

L’auteur de la fiche est responsable de programme à ERM.

Source

Texte original

(France)

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