Collecter des livres pour enfants les traduire en khmer et retourner au pays natal, une manière originale d’aller raconter la paix aux enfants du Cambodge
06 / 1997
3 jeunes Cambodgiens réfugiés en France,l’été 96, partent avec 350 livres dans leurs bagages à la rencontre des enfants cambodgiens de Takéo (province située dans le sud du pays). Ouvrir une bibliothèque villageoise et partager durant 3 semaines les espoirs de paix et le quotidien des enfants dans un village rural, tel était leur projet.
Sophoeum, Vuth, Sim, avaient 4ans, 8 ans, et 10 ans lorsqu’ils ont quitté le Cambodge pour échapper à l’enfer d’un sanguinaire dictateur rouge, laissant derrière eux frères et parents morts dans les camps de Pol Pot. Entre souvenir de guerre et d’exil, ces jeunes se sentent une dette envers leur terre d’enfance.Ce retour au pays est le premier après 15 ans d’exil. Pour cette raison ils ne veulent pas y aller en touriste, mais souhaitent y être utiles.
Sophoeum : "j’ai toujours voulu être utile aux gens de mon pays qui vivent dans la misère et je souhaite me rapprocher d’eux".
Sim :"En retournant dans mon pays, je veux aider mes petits frères et soeurs dans leur développement".
Des livres pour raconter et vivre la paix avec les enfants, tout un symbole pour ces jeunes. Réfugiés durant plusieurs années dans les camps en Thaïlande, leur enfance à eux avait un jour d’avril 75 été brutalement interrompue.Partager le quotidien des enfants, autour du jeu, de la lecture, créer des espaces de liberté pour que s’exerce la tolérance, l’échange, c’était pour ces trois jeunes cambodgiens retrouver une âme d’enfant restée au Cambodge.
Le 4 août 96 il est midi (heure locale), l’avion se pose sur l’aéroport de Phnom Penh. L’émotion est grande pour ces trois jeunes. Ce premier retour au pays n’est pas sans crainte.
- Comment va t-on nous regarder?
-Pour ceux qui sont restés au pays, nous sommes des privilégiés, pourtant l’exil n’est pas forcément une situation privilégiée.
Passé ce premier choc, les contraintes de la mise en place du projet les obligent à être rapidement opérationnels. Dès le lendemain matin ils prennent la route de Takéo. Au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de Phnom Penh, tout leur semble plus paisible, plus harmonieux, ils retrouvent les maisons traditionnelles et les paysages qu’ils ont laissés il y a 15 ans de cela. C’est comme une réconciliation avec leur terre natale. ØAu village ils sont attendus. Les instituteurs mobilisés pour participer au projet sont chargés de rassembler les enfants et de les accompagner aux ateliers dans l’enceinte de la pagode Chacun trouve ses marques, on bavarde chacun avec l’accent de sa province natale, peu importe, on se comprend. Les enfants sont là, nombreux, 40 à 50 le premier jour. On ouvre les cartons de livres et de jeux, on découvre, on rit, on crie les enfants semblent heureux et nos trois animateurs aussi. Tous les jours durant 3 semaines les enfants sont de plus en plus nombreux autour de la pagode. De 40 à 50 enfants présents la première semaine, ils seront 70 à 80 la dernière semaine. Chaque jour à travers des ateliers lecture les enfants découvrent de nouvelles histoires, des histoires d’un autre monde, puis ils dessinent sur le thème de l’histoire. Cet exercice est parfois difficile. Au Cambodge la rigidité du système éducatif laisse peu de place à l’expression libre et à l’imaginaire. Mais au fil des jours les enfants deviennent plus curieux, plus spontanés, et leur participation devient très active au moment des activités manuelles et des jeux de plein air. Nos jeunes animateurs sont mêmes très surpris devant l’agilité des enfants dans les activités manuelles.
Au bout de quelques jours la vie du village est transformée, comme sous l’effet de la magie, les activités des enfants rythment la vie des villageois. Les femmes s’arrêtent en rentrant de la rizière, les vieux participent aux ateliers manuels et racontent des histoires; même les bonzes s’associent aux jeux de plein air. C’est comme si chacun retrouvait dans cet espace de liberté son âme d’enfant.
A travers ce projet les jeunes ont eu le sentiment d’apporter une réponse concrète aux besoins socio-éducatifs des enfants, car pour eux, qui ont grandi en France, ils mesurent combien ces espaces d’activités éducatives polyvalentes sont source de développement. La paix, ils n’ont pas voulu seulement la raconter, ils ont voulu la vivre au quotidien avec les enfants et les villageois dans ce village du Cambodge. Dans un pays encore traumatisé par le passé, et où la méthode éducative pourrait se résumer par : discipline, uniformité, rigidité, les instituteurs ont compris l’enjeu du projet. Mr Savuth Poov, sous-directeur d’école, témoigne : "Depuis 1979, nous avons reconstruit à partir de rien. Dans cette école seuls les maîtres avaient des livres, un seul par classe. Les livres que vous avez apportés ont beaucoup d’importance pour nous; ils donnent la possibilité aux enfants de découvrir d’autres cultures, d’autres histoires. Mon voeu pour les enfants, c’est qu’ils puissent tous aller à l’école. Nous sommes actuellement en marge du monde. L’aide que vous apportez et l’accès aux études pour nos jeunes permettront au Cambodge de ne plus être en marge."
De retour du Cambodge, Sim, Vuth, Sophoeum témoignent à leur tour :
- Sim : "Lorsque nous survolons le territoire cambodgien, quelques souvenirs douloureux de ma petite enfance surgissent à ma mémoire, les nuages se transforment en fumée de scènes de bataille. Au moment de l’atterrissage, mon coeur se serre jusqu’à la déchirure, un sentiment de peur m’envahit. Ce séjour a été une expérience enrichissante et représente un point important de mon existence".
- Vuth : "Par le biais de cette action, j’ai pu redécouvrir mon pays natal. J’ai été impressionné par la grande soif de savoir des enfants rencontrés".
- Sophoeum : "Dès mon arrivée au Cambodge, bien que je n’aie gardé aucun souvenir, je me suis senti chez moi. Au village, j’étais ravi de constater que nos activités avec les enfants se déroulaient dans une parfaite complicité".
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, Cambodge, France
Ce retour au pays a été très émouvant, la vie au Cambodge d’aujourd’hui ne ressemble pas au Cambodge qu’ils ont quitté hier. Si oublier le passé c’est préférer ne pas en parler pour certains, pour d’autres témoigner de cette expérience est une nécessité car disent-ils "il faut éveiller les enfants d’ici à d’autres réalités". Leur conclusion:"Si nous n’apprenons pas à vivre ensemble comme des frères, nous allons tous mourir comme des fous" (Martin Luther King)
Texte original
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