Les réflexions d’un volontaire français
06 / 1997
Que ressent un volontaire de l’action humanitaire quand il est immergé dans la pauvreté et la misère humaine ? Est-il prêt à répondre à une demande ou se sent-il submergé par la dimension de ce qu’il découvre? Et où a commencé son propre développement ? La décence, l’amour, le doute et malgré tout la volonté de garder les yeux ouverts sont quelques-uns uns des fondements des motivations à s’impliquer dans un mouvement humanitaire. Combien d’apprentis Don Quichotte encore pour qu’un jour quelques moulins à vent s’écroulent? Il y a des blocs, des courants, des dogmes et des tabous, qui rationalisent l’irrationnel. Et qui nous font avaler la pilule. Nous levons les bras au ciel mais manquons d’autonomie pour nous insurger. Les quelques décideurs qui ont traité nos aïeux d’un revers de manche en 1970, 1914, 1940, sont encore là de nos jours, à nous expliquer ce qui est bien pour nous. Mais nous, nous changeons, nous ne voulons plus de guerre, nous voulons plus de paix.
Si la France jouit d’être une terre d’accueil ou de refuge, c’est qu’elle s’est dotée de richesses qui n’ont pas toujours germé de ses propres ressources, et qu’elle a été à l’avant-garde de modèles sociaux dont aujourd’hui nous avons avec les bénéfices hérité de quelques retombées qui gênent les dignes descendants de ces façonneurs d’inhumanité. Le monde n’est pas aux mains des peuples, il est la propriété ou le « patio trasero » de quelques Nations, qui le gouvernent à sa guise et avec toutes les facilités que lui procure l’inertie de la mise en pratique de ses décisions.
L’une des réponses claire et affirmée des peuples à cette privation sensorielle est l’effort humanitaire qui devient au fil des années des missions, de ses réussites et de ses échecs une force populaire mais qui s’échine à décoller du carcan institutionnel et constitutionnel dans lequel elle a pris corps. Son expérience en fait une force politique de premier choix si l’on veut bien abandonner la langue de bois qui n’est en fait qu’une forme maladive de cacher sa peur et sa crainte, de soi, de l’autre, des autres. Mais cette force n’arrive pas à se rassembler et à s’imposer non pas comme propagandiste d’une forme d’intervention mais comme architecte de l’édification d’un nouveau mode de faire des nations, des peuples.
Les méthodes et approches d’ERM se sont forgées sur le terrain, et son succès dépendra de sa capacité à avoir une politique interne tournée dans le sens d’une démarche conceptuelle adéquate prenant en compte les gens dans leurs environnements respectifs, pour favoriser la prise de conscience (dès l’enfance mais tout au long de la vie aussi)le libre arbitre, l’expression de la volonté individuelle et collective, et par-dessus tout le respect de l’autre à condition que les méthodes d’éducation trouvent des champs d’application adéquats ou en préparant les générations montantes à pouvoir prendre le relais de cette tâche. Les erreurs commises sont là pour rappeler que l’intention se canalise, qu’elles sont les garantes de la mise en place d’une stratégie permanente qui permette de cerner le détail et de le replacer dans son contexte. La volonté (état de vigilance conceptuel), l’énergie engagée (seuil nutritionnel)et la conscience (qui dépend des deux premiers dans leur possibilité d’épanouissement mais aussi du reçu, du transmis, du vécu)sont les carburants de notre refus à nous laisser aliéner. Les axes d’intervention sont multiples, et l’expérience si elle peut se capitaliser n’a pas toujours valeur d’exemple sinon que de mémoire. Seule elle peut nous amener à n’être que les exécutants d’oeuvres qui peuvent nous échapper.
Pour aborder sa phase d’adolescence ERM doit comprendre les mécanismes qui l’ont engendrée, se situer dans le courant associatif national et international, interpréter les conséquences culturelles, sociales et politiques de ses actions, et en quelque sorte accoucher des lois qui devraient lui permettre d’opérer de la meilleure manière, en disparaissant à terme, ses objectifs ayant été atteints, ou laissant la place à une autre forme de relation interculturelle intercontinentale. Puis aborder un débat en profondeur sur les moyens à mettre en oeuvre pour rester maître de ses desseins, représentative d’un courant déterminé à la base par la base, et revendicatrice d’un courant socio-politique qui prenne en compte l’homme, son environnement, ses ambitions et ses pouvoirs.
En conclusion l’action humanitaire, ERM avec elle, doit et peut de par ses origines historiques et géographiques, de part ses motivations même, ouvrir le champ de la réflexion au pourquoi de la nécessité de l’aide dans un monde sur la brèche, au lendemain de l’effondrement de la culture arabo-judéo-chrétienne au Liban, de l’extermination planifiée des indiens d’Amérique, et de l’anéantissement prémédité de pans entiers de l’histoire des peuples d’Afrique. Une mise à disposition des acquis, une concertation universelle des options de développement à privilégier pour assurer à nos enfants un avenir toujours meilleur, sont les seuls arguments qui pourront donner à l’humanitaire une dimension de protagoniste à part entière dans l’édification d’un monde souhaité.
Trait d’union entre le Nord et le Sud, entre le donateur et le bénéficiaire, notre rôle est d’assurer le rééquilibrage d’un monde qui commence à manquer d’air, et d’eau, et qui continue à manquer de vision. En ce qui concerne nos difficultés à mettre en pratique la pensée, quelques fois des années-lumière semblent nous séparer du but de notre quête. L’humanitaire masque, dérange et arrange, la politique tourne en rond, la machine capitaliste suffoque mais dispose encore de bien des moyens pour essayer de nous corrompre, de nous faire adhérer ou de nous abandonner. L’homme est là au centre perdu reclus, quelque fois satisfait ou heureux, jamais bien longtemps, avant que l’injustice restaure son pouvoir inquisiteur.
L’enfant dans tout ça? Chéri, meurtri, abandonné, surprotégé, n’est-ce pas le même mal qui nous touche tous? Que sais-je moi du jeu, qui joue ma vie, dont la vie se joue? Le rire est-il un langage, un apprentissage, un échappatoire? Si "un enfant qui ne joue pas est un enfant qui meurt", des parents qui meurent, c’est un enfant qui ne joue plus. Serions-nous capables d’intervenir pour arrêter le massacre?
Nous avons la force, l’appareil, des stratégies, d’ultimes convictions. Nous ne savons rien du pourquoi et du comment de toute cette histoire, mais tout faire pour ne pas laisser encore et encore derrière nous des champs de cadavres et des dépotoirs.
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, Liban, Rwanda, Guatemala,
P. VIGROUX est ingénieur Agronome, Docteur en Sciences. Missions ERM: Liban 1982, Guatemala 1990-1992, Rwanda 1997.
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Texte original
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