Quand la sécheresse porte ses fruits
Tobéré TESSOUGUE, Marie Laure DE NORAY
08 / 1995
L’association "Molibemo", signifiant en langue dogon "Unissons-nous", regroupe une centaine de villages du plateau dogon. Son objectif est d’améliorer les conditions de vie des Dogons du plateau, en menant des actions collectives.
Molibemo a été créé en 1984 pour lutter contre la sécheresse qui sévissait au Mali, tout particulièrement au plateau dogon, région rocheuse, pauvre en terres cultivables. Face aux difficultés liées à la sécheresse, 102 associations villageoises (AV)décidèrent d’unir leur force. Certaines de ces AV s’étaient constituées lors de la grande sécheresse de 1973, sous l’impulsion de la Mission catholique, installée au Pays Dogon depuis plus d’un siècle. Pour combattre la sécheresse, les pères blancs avaient alors initié un projet d’hydraulique rurale : construction de barrages, creusement de puits, installation de bornes-fontaines et de pompes. Au sein de chaque AV, une équipe est chargée de la maintenance et de la gestion des ces ouvrages, afin d’assurer leur pérennité. Ce projet a permis la relance du maraîchage et de la riziculture, notamment par l’implantation de jardins et champs collectifs. Par effet d’entraînement, l’agriculture, l’élevage, le commerce se sont développés et ont ainsi considérablement augmenté les revenus des villageois. Les paysans du plateau allaient vendre leurs produits dans les centres urbains tels que Mopti, et même Bamako. Pour favoriser ce commerce florissant, les Dogons du plateau ont construit une route allant de Mopti au Burkina Faso, couramment appelée la "route du poisson".
Mais tout à coup, en 1984, la calamité naturelle a mis fin à l’espoir des paysans. Devant la gravité de la sécheresse, les villages, individuellement, ne pouvaient faire face à la situation. Les animateurs du projet Hydraulique rurale passèrent de village en village pour proposer aux AV de mettre en commun leurs fonds afin de s’approvisionner en céréales dans le sud du pays (région excédentaire en céréales)et de constituer un stock. Ce faisant, ils réunirent une somme 5 millions de Fcfa (50000FF). Jugeant cette contribution trop faible, ils se tournèrent vers un bailleur de fond pour avoir accès à un crédit conséquent. Ils purent ainsi emprunter 30 millions Fcfa, ce qui permit de remplir le grenier, et de sauver des vies humaines, menacées par la famine.
Bon nombre de villageois avoisinant la zone du projet purent profiter du grenier commun et décidèrent de participer au processus, portant à 102 le nombre d’AV réunies. Voilà le point de départ de Molibémo.
Malgré l’importance de son action, Molibémo a rencontré bon nombre de difficultés pour être reconnu par l’Administration. Ce n’est que huit ans après sa création que l’association du plateau dogon eût accès à un statut juridique, l’administration s’étant jusque là opposée à son existence même, craignant le poids du contre-pouvoir de cette association. Néanmoins, tous les membres de Molibémo étaient bien décidés à résister aux injonctions du Pouvoir, pour arriver à leurs fins.
Même sans reconnaissance juridique, Molibémo s’est doté d’une structure modèle dès ses débuts. La base, au niveau des villages, est constituée de groupements de villageois qui se réunissent de leur propre gré pour résoudre des problèmes communs, dans le cadre d’une auto-promotion socio-économique et culturelle. Au deuxième niveau se trouve le secteur du Molibémo. Chaque secteur est composé d’au moins 5 groupements villageois regroupés selon leur appartenance à une même zone géographique ainsi que leurs affinités. Le secteur est dirigé par un conseil sectoriel élu. L’assemblée générale du secteur est composée de 2 représentants par groupement villageois. Le siège du conseil sectoriel (chef-lieu)est choisi en A.G., qui se réunit mensuellement. Au troisième niveau se situe le Conseil général (ou bureau exécutif)composé de 7 membres : un président, un vice-président, 4 organisateurs, une déléguée à la promotion féminine. Le siège du Conseil général est à Bandiagara, ville principale du plateau. Parallèlement à cette pyramide, Molibémo s’est doté d’une équipe technique constituée de 11 animateurs rémunérés. Le rôle de ces derniers est primordial car c’est eux qui conçoivent les projets, et qui mettent en place et coordonnent les actions. "Nous sommes le cerveau de Molibémo" dit l’un de ces animateurs. Depuis 1994, un expatrié allemand a intégré l’équipe technique.
Pour être animateur, il est indispensable d’avoir gravi les échelons de la structure de Molibémo. Les responsables des différents niveaux de Molibémo ont tous été élus. Les critères d’éligibilité ont été imposés par les villageois eux-mêmes : il faut obligatoirement être alphabétisé (en français, en dogon, ou en arabe), avoir une bonne moralité, et, pour les fonctions de gestion financière, il faut avoir une certaine puissance économique. Ce dernier critère présente deux garanties : d’une part, une personne qui n’a pas de problèmes financiers est moins tentée par le détournement de fonds, d’autre part en cas de mauvaise gestion, voire de corruption, elle est solvable, Molibémo peut alors lui confisquer une partie de ses biens. On peut constater que les élus sont choisis en fonction de leurs compétences et de leurs valeurs intrinsèques. Il est nullement question de considérations d’ordre traditionnel, telles que l’appartenance à la chefferie traditionnelle.
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, Mali, Pays Dogon
Il est intéressant de constater que l’organisation de Molibémo suit un schéma purement démocratique, et ceci dès sa naissance. Et c’est ce qui garantit sa pérennité, et l’adhésion du plus grand nombre. Notons aussi que cette association exemplaire ne doit pas sa réussite à la personnalité d’un individu ou d’un groupe leader, mais à la volonté commune de toute la population du plateau dogon. Cela constitue un atout pour la viabilité de Molibémo.
Au demeurant, cette organisation doit être prise en considération dans le processus national de décentralisation pour le découpage des collectivités territoriales du pays dogon. On pourrait même envisager que Molibémo deviennent une "commune" (circonscription de base de l’Etat décentralisé dont le nombre prévisionnel est fixé à 120). C’est en tout cas le souhait de l’ensemble des membres de Molibémo.
Cette fiche a été réalisée sur la base d’une enquête effectuée entre 1994 et 1995. L’ensemble dans lequel elle s’inscrit a fait l’objet par la suite d’une publication séparée, sous le titre : On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt : organisations sociales au Mali, un apport pour la décentralisation, FPH; Centre Djoliba, juillet 1996. S’adresser à la Librairie Fph, 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris.
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