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Les Organisations de Chasseurs du Mali

Quand le chasseur assure la sécurité publique

Birama SISSOKO

05 / 1995

L’Association Nationale des Chasseurs du Mali (ANACMA) et la Fédération Nationale des Chasseurs du Mali (FNCM) sont les deux associations qui animent le secteur des chasseurs. Elles sont nées avec l’avénement de la démocratie pluraliste après le 26 Mars 1991. Issues des structures anciennes de la société malienne, elles existaient alors dans tous les villages sous forme d’association informelle : TON JE dirigée par un chef : le Donso Kun Tigi.

La chasse est très répandue au Mali. Chaque village, surtout dans la région du Mandé (Sud-Ouest du pays), compte au moins dix chasseurs. Jadis guidées par des principes traditionnels stricts, elles sont aujourd’hui à cheval entre le modernisme venu de l’occident et la tradition. C’est ainsi qu’un bureau dirigé par un chef chasseur pilote désormais chaque association. Le président est élu à vie tandis que les autres membres du bureau sont renouvelables. Chaque association a ses structures décentralisées autonomes au niveau des villages, des arrondissements, des cercles et même des régions.

Amorcée pendant la période coloniale, la formalisation des organisations de chasse n’intervient qu’avec la création de l’Association des Chasseurs du Soudan Français : ACSF en 1957. Cette formalisation sera plus significative avec l’Association des Chasseurs de Bamako (ACB) devenue par la suite Association des Chasseurs du District de Bamako (ACDB) en 1977.

En 1991, cette association éclate pour donner naissance à deux nouvelles structures : l’Association Nationale des Chasseurs du Mali (ANACMA) et la Fédération Nationale des Chasseurs du Mali (FNCM).

Parmi les différentes fonctions du chasseur, la sécurité publique n’est pas des moindres. D’ailleurs, elle ne date pas d’hier. Dans la société précoloniale du Mali, l’un des rôles dévolus aux chasseurs était de protéger les villages contre les guerriers et les brigands. Bref, ils se devaient d’assurer la sécurité de la population et de leurs biens. Ce rôle aujourd’hui subsiste encore malgré l’existence d’une force publique. « Même si cela n’est pas toujours perceptible, il accomplit encore cette mission » dit Diawoye Traoré, Secrétaire Général Adjoint de l’ANACMA. Au Mali, aujourd’hui, on a notre armée moderne. Mais cette structure s’inspire des chasseurs » rencherit-il. Chaque fois que survient un problème menaçant la quiétude de la société -que ce soit au niveau national ou local- les chasseurs essaient d’intervenir pour trouver une solution. Ainsi, en 1975 puis en décembre 1985 alors que des conflits éclatent entre le Burkina Faso et le Mali, les chasseurs de l’ACDB font une marche vers la « Maison du Peuple » (siège du parti unique au pouvoir) en manifestant leur désir de prendre part à la guerre. De même, en juin 1994, les militants de la FNCM d’une des communes de Bamako se sont réunis pour tenter d’apporter leur concours dans la résolution de la rébellion touarègue au Nord du pays.

Au niveau local aussi, les chasseurs s’impliquent dans la sécurité publique. Par exemple, en 1992 à Kolondiéba, la section ANACMA de cette localité est intervenue face à l’ampleur de vol d’animaux domestiques à la frontière avec la Côte-d’Ivoire. En quelques mois, le mal fut jugulé.

Sur un autre registre, à Bamako, les chasseurs ont pris part à la lutte contre la criminalité urbaine. En effet, la délinquance dans la capitale commençant à atteindre une proportion inquiétante pour les habitants, les chasseurs du quartier périphérique Djikoroni Para sont allés voir, en 1993, le bureau national de l’ANACMA pour obtenir l’autorisation d’assurer leur propre sécurité puisque les forces de l’ordre en étaient incapables. Les chasseurs sont susceptibles de mener des actions de ce genre à chaque fois que l’Etat devient incapable d’assurer la sécurité publique. Il est donc fréquent que les chasseurs en assurant la sécurité s’opposent à la force publique qui refuse de collaborer. A Kolondiéba, notamment, les chasseurs n’ont reçu ni félicitations, ni encouragements de la part des services publics, alors qu’ils ont réussi à enrayer les vols de bétail, tâche que la gendarmerie, les agents de la douane et des eaux et forêts n’avaient pu assurer durant des années. Ils ont, au contraire, fait l’objet de critiques sévères de la part de l’administration judiciaire. On les a accusés d’avoir agi à la place de la gendarmerie.

Si, objectivement, les chasseurs ne sont pas aptes à participer aux guerres modernes telles que celles du Nord ou des frontières du Burkina Faso, ils peuvent avoir autant de poids que la force publique dans le maintien de la sécurité publique locale. Ils sont nombreux, connaissent mieux le milieu et sont, aussi, plus courageux. « Les gendarmes ont peur en brousse, les policiers, lors des patrouilles en ville, évitent les coins sombres et isolés » affirme M. Samaké, membre de l’ANACMA. « Nous avons conscience qu’il existe des structures appropriées pour ces choses là, qu’il pourrait avoir une collaboration possible entre nous et la force publique » dit-il. Et de poursuivre « nos spécialistes (gendarmes, policiers) doivent se mettre en tête qu’ils sont nés en brousse et qu’ils doivent tenir compte des structures anciennes qui font la fierté de nos villages, et qui peuvent encore les servir. Les structures modernes ont elles aussi des limites ».

Mots-clés

tradition et modernité, Etat et société civile, milieu rural


, Mali

dossier

« On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt » : organisations sociales au Mali, un atout pour la décentralisation

Commentaire

Nous voyons là que les associations des chasseurs sont très souvent capables de trouver des solutions aux problèmes de sécurité au niveau local.

L’administration devrait encourager des initiatives comme celle des chasseurs de Kolondiéba, car le vol de bétail est aujourd’hui très fréquent, et ceci dans tout le pays.

Les gendarmes n’ont jamais pu circonscrire des phénomènes similaires dans les cercles de Kayes - Bafoulabé - Bougouni, par exemple. Les chasseurs peuvent donc aider les gendarmes s’ils acceptent une collaboration sans laquelle l’action de la force publique est souvent inefficace. Il apparaîtrait que la source du conflit entre gendarmes et chasseurs viendrait d’une complicité tacite entre les gendarmes et les voleurs dans certains cas. Ce cas fait apparaître que dans le processus national de décentralisation on doit tenir compte de structures traditionnelles de substitution dans l’organisation du maintien de l’ordre et de la sécurité.

Notes

Cette fiche a été réalisée sur la base d’une enquête effectuée entre 1994 et 1995. L’ensemble dans lequel elle s’inscrit a fait l’objet par la suite d’une publication séparée, sous le titre : On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt : organisations sociales au Mali, un apport pour la décentralisation, FPH; Centre Djoliba, juillet 1996. S’adresser à la Librairie Fph, 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris.

Source

Enquête

Centre Djoliba - BP 298, Bamako. MALI. Tél. : (223) 222 83 32 - Fax : (223) 222 46 50 - Mali - centredjoliba (@) afribone.net.ml

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