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La Charte de l’ancien empire du Mali pourrait inspirer les Maliens d’aujourd’hui

Sissoko BIRAMA

07 / 1995

Kuru Kan Fuka est un village près de Kangaba (ville à 200 km au sud de Bamako).C’est là qu’a été élaboré, au 13ème siècle, la Charte de l’empire du Mali, qui a régi l’organisation sociale, économique et culturelle du Mali durant des siècle, et qui, aujourd’hui se manifeste encore de façon sous-jacente.

« Kuru Kan Fuka » signifie en bambara « plaine sur une colline ». C’est dans ce village qu’en 1236, le roi du Mandé (ou Mali) Soundiata Keïta, après sa victoire sur Soumangourou Kanté, roi du Sosso, réunit tous les clans conquis pour prendre des décisions fondamentales sur l’avenir de leur communauté. La rencontre, tenue pendant 40 jours a donné lieu à la « Charte de Kuru Kan Fuka », autrement dit : la Constitution de l’Empire du Mali. Il s’agit d’une charte orale, mais néanmoins d’une précision extrême. La question du travail inscrit au chapitre 18 est un des points essentiels de son contenu.

Avant l’avènement du héros Soundiata Keita, le Mali se trouvait dans une misère totale. L’individualisme, la pratique abusive de l’esclavage, avaient entraîné les peuples dans l’oisiveté. Pour faire du Mali une grande entité économique et politique, Soundiata comprit qu’il fallait organiser la société, en donnant au Mandékas (peuple du Mali) une culture de travail. Pour cela, il convoqua les chefs des différents clans pour déterminer le droit mais aussi les devoirs de chacun. Ainsi les ordres des griots, des forgerons, des esclaves, des marabouts,… furent-ils institués ou renforcés. Les « Numu » seront commis à la production des outils d’agriculture, des armes, constituant ainsi la caste des forgerons.

« Jeliya lan kéné ma ya li bora Jata debolo » (« La mise en valeur du griot est venu de Soundiata ») chante une cantatrice malienne contemporaine. En effet, le rôle des griots fut renforcé par la Charte : ils doivent faire l’éloge des jeunes travaillant aux champs, des guerriers au combat,…. Ils deviennent médiateurs entre les clans ou les individus, lorsqu’adviennent des problèmes sociaux.

On désigna certains clans pour prendre en charge l’éducation morale et religieuse du peuple. Les familles Touré, Diané, Cissé devinrent « manden mory » (marabout du Mandé). Une aristocratie féodale (le « Fama ») s’institua, composée des familles Keïta et Konaté (descendants de Soundiata), des familles descendante de Fakoli, général de Soundiata (les Sissoko, Bagayogo, Doumbia,…), des Traoré. Quant aux familles Camara, on leur reconnut la possession des terres. La production agricole, jusqu’alors réservée aux esclaves (guerriers réduits à la captivité) devient obligatoire pour tous les bras valides de la société.

A Kuru Kan Fuka, plusieurs dispositions furent prises pour organiser le travail. On institua deux jours de repos par semaine : le lundi et le vendredi, appelés encore aujourd’hui « Jon foro sènè don » (jours où les esclaves cultivent leurs champs) pour encourager la productivité. Les jeunes furent organisés en groupes d’âge. A chaque âge correspond un certain type de travaux collectifs, au village. Pour encourager les travailleurs, on permit aux filles d’accompagner les jeunes dans les champs. Les vieux ne furent pas oublié dans le processus productif. La Charte leur confia la tâche de transmettre leurs expériences aux jeunes.

Pour assurer le rôle de police du travail, le Wolo fut institué. Il s’agit d’un personnage portant un masque pour ne pas être reconnu, qui se promène dans le village pendant l’hivernage (période de culture), avec un fouet pour chasser les paresseux. Il n’épargne personne, ni même ses beaux parents ou encore les « malades » (maux de tête, par exemple). Le Wolo veille aussi sur les paysans aux champs.

Bannir de la société les paresseux, les « baara kè baliw » (les gens qui refusent de travailler) fut le principe directeur de Kuru Kan Fuka. « A l’époque », dit Mahamoud Bamba (chercheur - membre de l’Association culturelle Manden Yeléma Mayada à Bamako), « cohabiter avec un homme qui refuse de travailler est plus dangereux que de vivre avec un malade contagieux. On ne pouvait dire « je n’ai pas de travail »". Le « baara kébaliya » (attitude de refus du travail) est tellement contre-indiqué, que même le terme « chômeur » (autrement dit : sans travail) n’existe pas dans le vocabulaire malinké (langue du Mali). Aujourd’hui encore, on n’emploie que des termes de substitution, qui ne sont en réalité que des termes d’insultes : Ja fo baka to (maudit), dokè bali (fainéant). De plus, il est très important pour les jeunes d’être reconnus comme de gros travailleurs, car cela constitue un critère de choix pour le mariage. « Est-ce qu’il peut nourrir une femme ? » demandait-on lors de la proposition de mariage.

A Kuru Kan Fuka le travail fut tellement pris au sérieux qu’il apparaît, dans l’ordre des vertus, à la deuxième place, entre le savoir et la justice. D’où la devise « Kolon, Baara, Tilen » (savoir, travail, justice). Les Mandingues appellent cette devise les trois principes fondamentaux du progrès de l’homme.

Ainsi, en 1236 fût érigée la Constitution de l’empire du Mali, qui définit le statut et le rôle de chaque citoyen, au sein de la communauté, dans la paix et la concorde. Soundiata et ses généraux, chantés par les griots, sont restés vivants dans la culture malienne.

C’est ce que rappellent les termes de la devise suivante :

« NI MANSA MINU TEME NA. O LU BEYE BAARA KE MANDE JAMANA KONO »

(« Ces Mansa (rois) qui sont passés ont tous travaillé sur la terre du Mandé »)

Après la mort de Soundiata, les griots inscrivirent dans la mémoire collective :

« Minu bè sènèkè, u ka sènèkè/Minu bè jagokè, u ka jagokè/Sundiata ban na » (« Ceux qui peuvent cultiver, qu’ils cultivent/Ceux qui peuvent faire du commerce, qu’ils le fassent/Soundiata est mort »).

Mots-clés

tradition et modernité, tradition, tradition orale, histoire, culture traditionnelle, société traditionnelle, système de valeurs, milieu rural


, Mali

dossier

« On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt » : organisations sociales au Mali, un atout pour la décentralisation

Commentaire

La Charte de Kuru Kan Fuka enseigne qu’il n’existe pas d’autres alternatives pour le développement que le travail. Le travail y a été considéré comme une religion, un culte. Le Malien s’y est alors bien adapté. Cette vertu fait de la charte de Kuru Kan Fuka un modèle. La charte, certes, peut être aujourd’hui pour les Maliens une locomotive, mais serait-il possible pour eux de se conformer totalement à toutes les valeurs ancestrales. Non, les Maliens doivent plutôt éduquer leurs enfants en fonction des réalités du présent, mais sans pour autant oublier d’interroger le passé.

La charte de Kuru Kan Fuka demeure dans les mentalités, les pratiques. Aujourd’hui, la majorité des ruraux (soit 80% de la population) ont gardé le lundi et le vendredi comme jours de repos. Pourquoi alors ne pas aligner les 20% restant sur eux, plutôt que d’essayer d’imposer le week-end à l’occidentale ?

Le processus de décentralisation en cours permettra peut-être la résurgence ou le renforcement de l’organisation du travail proposé par la Charte. Encore très vivante dans les esprits, cette Charte de plus de 7 siècles pourrait inspirer les nouveaux acteurs du développement local.

Notes

Cette fiche a été réalisée sur la base d’une enquête effectuée entre 1994 et 1995. L’ensemble dans lequel elle s’inscrit a fait l’objet par la suite d’une publication séparée, sous le titre : On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt : organisations sociales au Mali, un apport pour la décentralisation, FPH; Centre Djoliba, juillet 1996. S’adresser à la Librairie Fph, 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris.

Source

Enquête

Centre Djoliba - BP 298, Bamako. MALI. Tél. : (223) 222 83 32 - Fax : (223) 222 46 50 - Mali - centredjoliba (@) afribone.net.ml

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