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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Quand le théâtre devient facteur de développement

Itinéraire de l’association Tract-Mali

Marie Laure DE NORAY

07 / 1995

« L’art au service du développement » pourrait-on dire à propos du mouvement Théâtre utile qui s’épanouit depuis le milieu des années 80 au Mali. Aujourd’hui, 5 troupes de théâtre parcourent le pays proposant à un public aussi bien urbain que rural des spectacles thématiques sur les différents problèmes qui freinent le développement.

Avec à leur actif quelques milliers de représentations, ces troubadours du développement mènent une action significative dans le domaine de la sensibilisation populaire. Philippe Dauchez, professeur d’art dramatique aujourd’hui à la retraite, est à l’initiative de ce mouvement. Arrivé au Mali en 1978 en tant que coopérant mis à disposition de l’Institut national des arts (INA) de Bamako, Philippe Dauchez constate assez vite que le seul débouché des élèves sortants est d’intégrer la fonction publique, en tant que comédiens du Théâtre National. « Un théâtre sous haute surveillance fait par des artistes fonctionnaires… Ca ne veut pas dire grand chose. Il fallait trouver un moyen de les professionnaliser pour assurer leur éventuelle autonomie. Pour commencer j’ai proposé aux élèves de s’organiser en petites équipes… » explique Philippe Dauchez.

En 1982, à la demande d’un médecin de l’Hôpital psychiatrique désireux de distraire les malades mentaux, l’une des petites équipes se lance dans un jeu théâtral impliquant les malades eux-mêmes. Malgré le peu d’enthousiasme du personnel soignant (jugeant inutile d’essayer de réhabiliter des êtres à peine considérés comme des humains), les résultats sont bons, ce qui encourage la troupe à mener ce travail régulièrement.

Deux ans plus tard, c’est au tour d’un responsable de l’Unicef de commander à l’INA un spectacle pédagogique sur la diarrhée et la malnutrition, car dans la région de Ségou était survenue une meurtrière épidémie de diarrhée. Une seconde équipe de comédiens répond sur-le-champ et quelques jours après, elle sillonne la région. A travers une fiction théâtrale, les comédiens expliquent aux mères qu’il est nocif pour l’enfant de passer sans transition du lait maternel à la bouillie de mil. Ils donnent la recette de « l’eau magique », remède simple et efficace contre la déshydratation (eau, sel, sucre). Les résultats sont étonnants puisqu’en quinze jours, l’épidémie de diarrhée est stoppée.

En 1986, à la demande d’un père blanc, une autre troupe d’élèves (les Nyogolons) monte un spectacle sur la polio, expliquant l’importance de la vaccination et de la rééducation en cas de polio déclarée. Là encore les résultats sont probants : on doit arrêter les représentations car le stock de vaccins prévu arrive à sa fin !

L’année suivante, les Nyogolons (littéralement « reconnais-toi toi-même ») sont invités au festival francophone de Limoges (France).

Puis d’autres troupes se créent, suivant le rythme des promotions d’élèves de l’INA. Philippe Dauchez identifie les comédiens à haut potentiel et les pousse à s’organiser en troupes. Pour éviter de se faire de l’ombre, les différentes troupes se spécialisent selon diverses formes théâtrales : comédie musicale, marionnettes, masques, théâtre parlé, contes. En 1988, les troupes se fédèrent en une ONG : TRACT Mali, ce qui facilite la recherche de fonds notamment auprès des financeurs institutionnels. A ce même moment, le ministre malien de la Culture décrète l’autorisation de la création de troupes privées qu’il souhaite même encourager. Le mouvement est bel et bien lancé. Le théâtre sort du carcan étriqué de la fonction publique pour recouvrer son rôle traditionnel : pouvoir parler de tout à tous grâce à la dérision. Un moyen de communication véritablement populaire. « Comédien, ce n’est pas seulement un métier d’artiste, c’est un métier d’humaniste. Le comédien a l’impudeur, le courage de dire tout haut ce que les autres n’osent pas s’avouer à eux-mêmes. Pour le spectateur, le théâtre est un moyen de se regarder, de se reconnaître. Le contact est direct » explique Philippe Dauchez. C’est d’ailleurs ce qui l’a poussé à quitter le théâtre intellectuel et abstrait tel qu’il le pratiquait en France. « On ne savait plus quoi inventer pour être original… Ici, je retrouve un théâtre simple et vrai, non pas centré sur l’individu mais sur la société. Nous ne voulons pas faire du théâtre d’avant-garde, incompréhensible pour neuf personnes sur dix. Ce que nous voulons, c’est communiquer à travers le théâtre, et c’est pour cela qu’il est important que notre théâtre conserve une forme traditionnelle. Le Kotéba (terme africain indiquant l’expression théâtrale) est inscrit dans la culture populaire. Nous utilisons ce moyen traditionnel pour parler de sujets contemporains ». Voilà qui positionne le Kotéba façon « TRACT-MALI ». Les dialogues se font toujours dans la langue majoritaire du lieu de représentation (en général en bambara). Ne maîtrisant pas le bambara, Philippe Dauchez n’intervient pas, lors de la mise en scène, sur les termes employés par les comédiens; « En fait, c’est une chance, car les comédiens ont libre cours pour adapter le mieux possible les idées qu’on veut faire passer au langage courant, en ayant recours à des proverbes, des métaphores, etc. »

Le succès de TRACT-MALI ne cesse d’augmenter aussi bien auprès du public populaire qu’auprès des spécialistes d’art dramatique ou de développement. Succès qui paraît parfois trop grand aux yeux de l’ancien professeur : « Il arrive souvent que des représentants d’ONG étrangères et de bailleurs de fonds nous commandent des spectacles sur un coup de tête parce qu’ils trouvent ce moyen séduisant et original, sans que cela réponde à une réelle stratégie. On joue la pièce trois ou quatre fois, et on n’en parle plus. C’est vraiment dommage. Si l’on veut avoir des résultats (prise de conscience des problèmes, amorce de changement de comportement), il faut passer et repasser dans les villages, dans les quartiers. A moins de 100 représentations, notre travail ne peut être significatif. » Espérons qu’il ne s’agit pas seulement d’un phénomène de mode chez les commanditaires potentiels mais d’une réelle prise de conscience que cet outil de communication et d’animation a sa place à part entière sur la palette des méthodes pédagogiques appliquées au développement.

Mots-clés

théâtre, art, tradition et modernité, milieu rural


, Mali

dossier

« On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt » : organisations sociales au Mali, un atout pour la décentralisation

Commentaire

On peut légitimement se poser des questions sur la pérennisation de ce mouvement lorsque Philippe Dauchez se retirera. Mais au vue de la structure solidement tissée et de l’autonomie réelle des troupes (chacune d’entre elles a son leader), on peut rester optimiste. D’autant plus que les comédiens sont conscients et fiers de leur utilité, et qu’ils aiment leur métier par-dessus tout.

Notes

Cette fiche a été réalisée sur la base d’une enquête effectuée en 1995. L’ensemble dans lequel elle s’inscrit a fait l’objet par la suite d’une publication séparée, sous le titre : On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt : organisations sociales au Mali, un apport pour la décentralisation, FPH; Centre Djoliba, juillet 1996. S’adresser à la Librairie Fph, 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris.

Source

Enquête

Centre Djoliba - BP 298, Bamako. MALI. Tél. : (223) 222 83 32 - Fax : (223) 222 46 50 - Mali - centredjoliba (@) afribone.net.ml

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