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Les démêlés bancaires d’une association villageoise au Mali

Amadou Baba DIARRA

09 / 1995

Le « Ton » (terme bambara désignant une association ou un regroupement) villageois de Dougouninkoro, village situé au nord-est de Ségou, deuxième ville du Mali, est une association qui regroupe et concerne tous les habitants du village. Cette association créée dans l’optique de la prise en charge locale du développement de Dougouninkoro a vu le jour il y a une dizaine d’années. Ses activités s’organisent autour de trois principaux secteurs : la commercialisation du riz (suite au désengagement de l’Office riz, société d’Etat chargé de la filière riz dans la zone), l’alphabétisation, la recherche de crédits agricoles.

Les relations avec les systèmes bancaires existants ont causé un véritable problème aux membres du Ton, s’avérant souvent incompatibles avec les aléas des revenus agricoles des paysans de Dougouninkoro.

A partir de 1993, le Ton de Dougouninkoro a bénéficié de crédits à la BNDA (Banque nationale de développement agricole) pour le compte de ses adhérents afin de couvrir leurs besoins en matériels agricoles (charrues, charrettes, engrais,…). Pour la bonne marche de l’affaire, le Ton a joué le rôle d’intermédiaire et de garant entre les demandeurs et la banque. Pour la première campagne, le Ton a obtenu, pour le compte de ses adhérents, 10 millions de francs CFA de crédits agricoles. 80% de la somme prêtée était constituée de crédits à court terme (pour l’achat d’engrais et de semences). Les taux d’intérêt des crédits variaient de 11 à 13%.

Au départ, tout semble s’arranger. Le Ton prévoit même un système pour faciliter le remboursement. « Pour aider les membres du Ton à effectuer leur remboursement, nous avons conçu un système consistant à retenir chaque année un peu sur les récoltes de riz de ceux qui ont pris crédit jusqu’à ce que l’intégralité soit payée suivant l’échéance de la BNDA. Donc, à l’approche de cette échéance, nous vendons tout le riz stocké par le Ton, les sommes dues à la BNDA en sont défalquées et le reste revient dans les caisses du Ton comme avoirs propres », explique N’Thi Coulibaly, membre animateur du Ton.

Mais malheureusement, la campagne 1993-1994 ne répond pas aux attentes. Les récoltes sont modestes, entraînant chez les paysans des difficultés de remboursement des crédits à court terme. Impossible de s’acquitter de la part la récolte réservée au remboursement des crédits, selon le système mis en place…

D’après N’Thi Coulibaly, « la BNDA n’en a nullement tenu compte » puisqu’elle a infligé des pénalités pour retard de remboursement. Mesure d’autant plus affligeante qu’elle porte sur des crédits courts, remboursables au terme d’une seule campagne. Ainsi, si la campagne agricole est mauvaise, le respect du délai de remboursement devient impossible pour des paysans dont l’essentiel des revenus provient des récoltes du riz. Le constat est amer et suscite une vive réaction de la part des paysans. « Après le remboursement de ce que nous devons, on n’empruntera plus d’argent à la banque », disent-ils. On pense alors à une solution de rechange : « Il serait préférable d’avoir nos propres structures de crédit et d’épargne comme dans la zone Mali-Sud du Mali, pour combler nos besoins de crédit » s’insurge N’Thi Coulibaly. Mais comparaison n’est pas raison, reconnaîtra-t-il plus tard, le contexte étant sensiblement différent : dans la zone Mali-Sud, spécialisée dans la culture du coton et encadrée par la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT), les paysans acquièrent d’un seul coup leur argent à l’issue de la campagne de coton dont l’achat est assuré par la CMDT. Mais ici, à Dougouninkoro, les paysans mettent plus de temps à acquérir le fruit de leur récolte.

En réalité, un certain nombre de questions s’imposent quant à la prise de conscience du monde paysan de la lourdeur des règles bancaires classiques.

Cette prise de conscience pourra-t-elle donner lieu à une mobilisation de l’épargne rurale (d’une façon ou d’une autre) par le Ton lui-même pour combler les besoins de crédits inhérents à toute activité agricole ? L’abandon des crédits bancaires ne va-t-il pas provoquer chez les paysans des problèmes de liquidités ?

La réponse de N’Thi à ces questions reflète la détermination des paysans : « Dire que nous aurons des problèmes quand nous cesserons de prendre des crédits bancaires, c’est exagéré… Nous pensons que l’essentiel se trouve dans la façon de travailler, de s’organiser. Et d’ailleurs nous avions moins de problèmes avant de travailler avec la BNDA. Seulement, quand on nous a dit que l’on pouvait avoir des crédits, on a été épaté par le volume d’argent qu’on pourrait obtenir. »

Il est à souhaiter donc que cette réaction négative par rapport aux pratiques bancaires soit le point de départ d’un système de financement dont les paysans maîtriseraient eux-mêmes tous les contours en tant qu’acteurs et destinataires. C’est en tout cas la ferme intention des villageois de Dougouninkoro.

Mots-clés

organisation paysanne, crédit rural, accès au crédit, système d’épargne et de crédit, accès aux systèmes financiers, milieu rural


, Mali, Ségou

dossier

« On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt » : organisations sociales au Mali, un atout pour la décentralisation

Notes

Cette fiche a été réalisée sur la base d’une enquête effectuée en 1995. L’ensemble dans lequel elle s’inscrit a fait l’objet par la suite d’une publication séparée, sous le titre : On ne ramasse pas une pierre avec un seul doigt : organisations sociales au Mali, un apport pour la décentralisation, FPH; Centre Djoliba, juillet 1996. S’adresser à la Librairie Fph, 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris.

Source

Enquête

Centre Djoliba - BP 298, Bamako. MALI. Tél. : (223) 222 83 32 - Fax : (223) 222 46 50 - Mali - centredjoliba (@) afribone.net.ml

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