09 / 1996
A la fin des années 80, le gouvernement péruvien a reconnu la détérioration de la situation alimentaire du pays et mis en place un Plan de Sécurité Alimentaire. Compte-tenu de leurs atouts nutritionnels, les produits andins* pourraient intervenir dans la redéfinition du "panier alimentaire" des populations.
Quinoa, tarhui, chuño, moraya
La quinoa est une céréale contenant 12 à 16 % de protéines. Elle est particulièrement bien équilibrée en acides aminés essentiels et riche en lysine, qui fait normalement défaut dans les autres céréales. Le tarhui est une légumineuse riche en protéines (plus de 50 %, taux supérieur au soja)et en matières grasses. Mais ces deux produits renferment respectivement de la saponine et des alcaloïdes qu’il convient d’éliminer avant toute utilisation alimentaire car ils confèrent une grande amertude. Le chuño et la moraya sont énergétiques. On les obtient par la congélation-déshydratation de la pomme de terre (exposition aux gelées nocturnes, piétinement pour favoriser l’expulsion d’eau, séchage solaire). Ce procédé permet de valoriser les variétés amères impropres à la consommation en frais (seules variétés cultivées sur des parcelles de plus de 3900 m.d’altitude), et les pommes de terre de seconde qualité des variétés douces.
Une stagnation des techniques?
De timides initiatives ont tenté d’améliorer les procédés et les produits finaux.
Ainsi, INCASUR, petite industrie, a développé des produits nouveaux à base de quinoa: farine de quinoa grillée, mélange de quinoa et d’avoine, pétales de quinoa, quinoa soufflée. Mais les prix sont peu compétitifs car la productivité agricole est faible. Aucun programme n’ayant essayé d’agir conjointement sur la production agricole (semences améliorées ou crédit), cette dernière reste insuffisante. D’où des difficultés d’approvisionnement (INCASUR a recours à du quinoa de Bolivie)et des prix de produit fini peu compétitifs.
Le tarhui a bénéficié d’un programme gouvernemental de relance de la consommation et de la production, notamment par une amélioration du procédé traditionnel de transformation au sein de petites unités. On obtient des farines, sauces, boissons, purées infantiles. Mais ces unités connaissent également des difficultés d’approvisionnement en tarhui amer car les prix d’achat aux paysans les incitent plutôt à le transformer et le vendre eux-mêmes. Au niveau de la production agricole, le tarhui est concurrencé par la fève, qui se cultive sur les mêmes terrains et a des rendements deux fois supérieurs**. Des variétés douces ont été mises au point, mais elles sont moins résistantes aux prédateurs. De plus, les variétés amères installées sur des parcelles proches leur imposent leur caractère amer lors de la pollinisation.
Quant au chuño et à la moraya, le piétinement du procédé représente un réel goulot d’étranglement. Ne serait-il pas possible d’adapter une presse pour améliorer cette opération?
Une inadéquation de l’offre avec la demande ?
En zone rurale, la consommation est déterminée par les disponibilités alimentaires, qui sont liées aux conditions agronomiques: l’autoconsommation domine même si le troc entre communautés de différents étages écologiques permet de relativiser son importance. Cependant, de plus en plus les paysans achètent pain, riz, pâtes, bien que ces derniers jouent le même rôle nutritionnel que les produits cultivés. En ville, les produits andins sont consommés à midi chez les familles qui les préparent, ou dans les pensions et les gargotes où se restaurent nombre d’employés. Ils répondent à une volonté de diversification de la part des consommateurs, mais ces plats souffrent de la concurrence des produits importés sur les marchés urbains *** à cause de leur faible disponibilité, de leur prix élevé, de leurs contraintes de transformation. Les changements des modes de consommation se sont faits au détriment des produits andins. Peu demandés, ils sont alors peu produits. Peu produits ou offerts, ils sont donc peu disponibles et peu consommés. Est-il possible de casser ce "cercle vicieux"?
Valoriser les produits andins, une priorité gouvernementale ?
Dans le cadre d’un réaménagement du système alimentaire, comment concilier les interêts souvent contradictoires des différents acteurs de la filière ? Même si,depuis le 20 mars 1988, une loi déclare "de nécessité et d’utilité publique la promotion, la transformation, l’industrialisation, la commercialisation et la consommation de produits alimentaires agricoles autochtones...", il semble que la priorité du gouvernement reste l’alimentation à moindre coût pour la population urbaine, dans un contexte économique marqué par une mondialisation croissante des échanges. L’auteur s’interroge : "Peut-on relancer la consommation ou la production et débloquer un système technique par décret ?... N’estil pas trop tard pour recréer (...)des dynamiques locales qui puissent intégrer des "produits nouveaux" avec des matières premières dont on a, malgré tout, perdu l’habitude et l’envie de consommation... L’enjeu est bien là : comment redonner l’envie de ce qui est autochtone ? Comment faire passer ce qui ne véhicule pas l’image de l’Occident ?".
alimentation, consommation, concurrence commerciale, tradition et modernité, nutrition, innovation technologique, espèce végétale, céréale, politique agricole, souveraineté alimentaire, coutume alimentaire
, Pérou, Bolivie
Biodiversité : le vivant en mouvement
E. Ablán nous décrit dans sa thèse la"mort lente" de la quinoa, du tarhui, du chuño au Pérou. Elle constate également que derrière ces produits, c’est la zoneandine elle-même qui est longtemps restée à l’écart des préoccupations gouvernementales et des avancées de larecherche et des investissements. Aussi bien économiquement, avec le déplacement du pôle productif vers la côte pourrépondre au modèle agroexportateur en vigueur (riz, güano, coton), que culturellement, avec la subordination de la petitepaysannerie andine et l’occidentalisation des styles alimentaires
*=Produits bruts ou transformés originaires des Andes et qui ne se sont pas développés en dehors de leur zone d’origine.
**Rendements agricoles en kilos /ha. Quant au rendement protéique, le tarhui est plus avantageux.
***30 % des calories consommées à Lima viennent d’une source extérieure au pays.
(1)L’Agroindustrie rurale AIRest un des thème de recherche-action privilégié du groupe ALTERSYAL.
Thèse et mémoire
ABLAN, Elvira, ALTERSYAL; IHEAL=Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine, Les produits andins du Pérou, 1989 (France); <ABLAN, Elvira>, <MUCHNIK, José>, 1995, "Recursos técnicos andinos : el caso del chuño y la moraya en Pérú. In :<Agroindustria Rural : Recursos técnicos y Alimentación>, <IICA>, p. 239-267
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