Démarche pour une étude des innovations alimentaires à Dakar et premiers résultats
10 / 1996
Pour étudier l’évolution des styles alimentaires en ville (1), les auteurs ont délaissé les traditionnelles méthodes d’enquêtes "budget-consommation" des ménages qui offrent une vision statique de la situation. Ils ont privilégié une approche plutôt qualitative auprès d’unités d’enquêtes redéfinies de façon à prendre en compte la diversité des groupes sociaux de consommation (ménages, migrants, travailleurs éloignés de leur domicile...)et des structures de consommation (restaurants, vente ambulante...)et de façon à caractériser l’évolution des styles alimentaires. Ces évolutions concernent les matières premières ou plats disponibles ou consommés (par exemple à Dakar, apparition du concentré de tomate, du café lyophilisé, utilisation de lait en poudre en remplacement du lait caillé), les pratiques de transformation (procédés, outils comme l’apparition des broyeurs à marteaux pour la mouture des céréales, organisation sociale du travail), les pratiques de circulation et de consommation, le système de représentation (symbolique des aliments, perception du temps...). Ces niveaux sont interdépendants. Ainsi, la consommation de chawarma (galette de blé et viande grillée), produit nouveau, s’accompagne d’une nouvelle pratique de consommation, la consommation hors-domicile.
Les variations de styles alimentaires s’opèrent à des rythmes variables selon les catégories sociales concernées. Une première catégorie isole les unités familiales ou ménages, au niveau desquelles l’évolution se fait par des changements progressifs (intégration de nouveaux produits comme les pâtes alimentaires)car il y a une continuité de la structure sociale de base (organisation, habitat). Toutefois, il convient de bien distinguer les convives : certains membres de la famille prennent leurs repas à l’extérieur, des invités sont parfois présents. En ce qui concerne l’échantillonnage de cette population, les auteurs émettent des réserves à l’encontre des critères de stratification couramment employés, et font les remarques suivantes : le revenu doit être appréhendé en terme de niveau mais aussi de régularité. Le style d’habitat conditionne la capacité d’hébergement, et donc la possibilité de recevoir un grand nombre de convives. Nourrir un plus grand nombre de personnes implique souvent de privilégier la prise de repas autour d’un même bol de riz, couscous... qui facilite la divisibilité des portions. Le comportement ethnique et l’attachement lignager (sollicitations de proches, dépenses de prestige, reçus de produits vivriers en provenance du village), ainsi que la notion de temps disponible (la préoccupation des femmes face au travail domestique est-elle vraiment de gagner du temps ?)influencent également les choix en matière de pratiques alimentaires.
Une autre catégorie distingue les groupes sociaux plus marginaux, tels les travailleurs ambulants et les personnes de "passage" ou se percevant en situation transitoire (même si la transition peut durer des années). Pour les caractériser, il est important de comprendre la façon dont ils"vivent l’urbanisation", à l’aide de quelques critères: conditions de logement, ancienneté de résidence, provenance du résidant, nature des liens entretenus avec la famille au village, en ville, avec les collègues, lieu de consommation, raisons du choix de ce lieu. Ces groupes véhiculent des innovations, qui s’expriment à différents niveaux. Les produits sont souvent des plats de forme individualisée, à faible coût unitaire, transportables, consommables à toute heure et en tout lieu : "mbouss" (tripes bouillies), "akara" et "pastels" (beignets), "dibi" (viande grillée), sandwiches... Les pratiques de consommation sont également innovantes : seul ou en groupe, hors-domicile ou dans une autre famille (formule dite d’abonnement qui permet le partage du repas d’une famille en échange d’une participation financière)...
Ces pratiques sont associées à de nouvelles structures de consommation, qui se développent notamment près des marchés et des bureaux :
- petite restauration : gargotes, dibiteries. Ce sont des lieux fixes où les repas sont pris sur place ou emportés. Certaines personnes y commandent leurs plats.
- restauration collective fermée : restaurants d’entreprise, cantines scolaires
- alimentation de rue : vendeurs de beignets, brochettes
Au niveau de ces structures, il convient de bien caractériser la clientèle, d’analyser comment et pourquoi les responsables choisissent tel ou tel plat, et enfin de voir les répercussions sur l’alimentation des ménages des innovations produites au niveau de ces structures.
L’application de cette méthodologie pour l’étude de l’évolution des styles alimentaires à Dakar a montré que cette dernière semble davantage prendre la forme d’innovation dans l’organisation sociale de la consommation que d’innovation-produits. Le développement de l’artisanat alimentaire et de la petite restauration constitueraient les véritables moteurs de cette évolution. C’est ainsi que, véhiculés au départ par les petits restaurants, l’usage de cuillères, verres individuels... se propage au niveau des familles. De même, certains produits de l’artisanat alimentaire (mil précuit, pâte d’arachide, autres produits semi-finis)trouvent à présent une clientète certaine auprès des ménagères. Les innovations, en se diffusant largement, induisent alors des changements des styles alimentaires de l’ensemble des Dakarois.
alimentation, méthodologie, analyse de systèmes, consommation, innovation, artisanat, consommateur, service de proximité, mobilité sociale, ville, coutume alimentaire, conditions de vie, secteur informel, différenciation sociale, milieu urbain, migration, évolution culturelle et changement social, recherche
, Sénégal, Dakar
(1)Fiche rédigée à partir d’un article exposant les résultats partiels de l’étude "Innovation technologique et alimentation des zones urbaines; le cas de Dakar" (ALTERSYAL).
Lire sur le même thème : BRICAS, Nicolas, 1993, "Les caractéristiques et l’évolution de la consommation alimentaire dans les villes africaines", In MUCHNIK, José(sous la coordination de)Alimentation, Techniques et Innovations. L’Harmattan : Paris. p.127-160
Contacts :
-CIRAD-SAR= Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement-département Systèmes agroalimentaires et ruraux. Adresse : cf. ALTERSYAL
-MUCHNIK, José: muchnik@cirad.fr
-BRICAS, Nicolas:bricas@cirad.fr
Livre
BRICAS, Nicolas, Nourrir les villes en Afrique sub-saharienne : à propos de l'évolution des styles alimentaires à Dakar, L'Harmattan, 1985 (France)
ALTERSYAL (Alternatives Technologiques et Recherche en Systèmes Alimentaires) - Coronado, San José, COSTA RICA c/o CIRAD-SAR, 73 rue J.F.Breton - BP 5035- 34032 Montpellier cedex 1. FRANCE - Tél. 04 67 61 57 01 - Fax 04 67 61 12 23