07 / 1995
Quatre après-midis par semaine, des femmes de toutes origines entrent, sortent de deux appartements discrets mais repérés par certains sur les quartiers. A Romans, depuis dix ans, ces lieux surprennent par le passage d’un public de femmes. Dans chacun de ces deux appartements, une éducatrice est présente. Les activités, les centres d’intérêts des après-midis se déterminent en fonction des envies, des soucis du moment (discussion, cuisine, couture, sortie hammam...). Les femmes n’ont pas de compte à rendre ni d’explications à donner sur leur présence. L’idée de départ des éducatrices était de permettre l’échange et d’être un relais pour des femmes qui n’avaient pas l’habitude d’aller dans des équipements de quartier.
DES LIEUX D’ECHANGES ET DE RENCONTRES
Aux Amaryllis, viennent essentiellement des femmes jeunes de 25/40 ans avec enfants, d’origine maghrébine, française ou turque. L’appartement est installé "à la française", on y parle français et il est possible de fumer. Les après-midis s’organisent autour de discussions, sur des sujets qui les concernent : la scolarité des enfants, la religion, le racisme... et traduisent leurs préoccupations (l’enfant, le bien-être, la vie). Le groupe fait quelquefois appel à des intervenants extérieurs (médecin scolaire, planning familial, centre social, bibliothèque...).
Certaines femmes reviennent à l’appartement après un temps d’absence assez long, à des moments où leur situation se dégrade, et où la précarité se développe. Le groupe permet de se ressourcer, d’échanger. Les caractères, les attentes de chacune par rapport au groupe, les différences culturelles jouent beaucoup dans la régulation interne, dans la dynamique (sorties...).
Aux Ifs, trois générations se retrouvent : des personnes plus âgées aux jeunes femmes avec leurs enfants non scolarisés, il y a ainsi 7/8 enfants présents par après-midi. L’appartement est partagé selon des fonctions bien précises : le coin fumeur, une salle couture, une salle commune... et l’après-midi s’organise souvent autour du café, du thé.
Une vingtaine de femmes sont les "piliers" de l’appartement... Les jeunes arrivent souvent aux Ifs à un moment particulier de leur vie de femmes qui est celui de la maternité et y viennent jusqu’à la scolarisation des enfants. L’appartement et le groupe repérés sur le quartier et dans le voisinage, permettent de s’inscrire dans une histoire, la relation aux "aînées" favorise une reconnaissance identitaire. Des conflits familiaux ou de voisinage se régulent dans ce groupe par l’intermédiaire des femmes les plus âgées.
Une dizaine de jeunes femmes circulent entre les deux appartements. Selon qu’elles sont dans l’un ou dans l’autre, elles s’adaptent à la particularité de chacun sans qu’il y ait de contradiction apparente (par exemple une même personne portera la djellaba aux Ifs, et en dehors ou aux Amaryllis, des vêtements occidentaux).
Ces appartements sont ouverts durant la période scolaire et des activités se mettent aussi en place en parallèle pour augmenter les possibilités d’ouverture et de confrontation à la société d’accueil. L’été, d’autres modes de relations s’élaborent (lecture sur les pelouses...)et favorisent la rencontre avec des pères, des adolescents...
VECTEURS D’INTEGRATION ?
Ces deux appartements, aux identités différentes ont pourtant des caractéristiques similaires. Différentes parce que l’appartement des Ifs semble plus s’inscrire dans la tradition que celui des Amaryllis. Et similaires parce que les deux groupes permettent un jeu de miroir entre les références culturelles d’origine et celles de la société d’accueil. Celui-ci se déroule à travers trois composantes majeures que sont :
- les femmes immigrées de première génération, quel que soit leur temps de vie en France, dont les références culturelles restent ancrées dans la communauté d’origine mais qui découvrent les références culturelles françaises,
- les femmes ou filles plus jeunes, plus ou moins intégrées à la société française dont elles revendiquent une appartenance, elles y ont été scolarisées, leur vie est en rupture avec les références communautaires,
- et les éducatrices, femmes de culture française.
Le frottement des générations et des modes de vie, la confrontation à l’autre participent aux transformations respectives. Pour les femmes de la première génération, ce lieu représente un espace d’autonomie sans risque. Elles ne sont nullement contraintes de se défaire de leurs habitudes culturelles et elles recueillent, bien souvent, le respect des plus jeunes. En effet, les jeunes femmes cherchent à travers elles une reconnaissance culturelle et identitaire qui leur fait défaut, tout en conservant leurs différences. Dans ce jeu, les éducatrices de culture française ont un rôle essentiel. Elles représentent la femme française et ne sont pas neutres dans leurs rapports aux femmes : l’acceptation même tacite des règles de vie (prises dans la société française)dans les appartements en témoigne.
acculturation, femme, interdépendance culturelle, relations sociales, médiation, travail
, France, Romans
La pérennité de ces groupes dans les appartements en confirme l’intérêt pour les femmes. Certes, la relation interculturelle est génératrice de doute, de remise en cause mais elle permet une affirmation de soi constructive. La dynamique d’échanges interculturels et intergénérationnels produit un "espace potentiel" pour dépasser des démarches d’acculturation. Les appartements sont ainsi des espaces intermédiaires entre l’espace public et l’espace privé, qui permettent de quitter la maison sans être complètement dehors. Les éducatrices sont support de la confrontation culturelle : elles cadrent les modes de relations et elles sont utilisées comme témoins. Elles donnent ainsi de la consistance et de la réalité aux représentations que les femmes peuvent avoir de la société d’accueil.
Cette fiche est co-produite par le CR-DSU et Habitat Formation. HABITAT-FORMATION -12 rue Poncelet-75017 PARIS - (1)44 15 14 00
F. DESBORDES : tel 75 72 48 95; D. DRAGON: 75 72 67 97
Entretien avec DESBORDES, F.; DRAGON, D.
Entretien ; Livre
GRANE, Jean, DIALOGIE, Ville de Romans, Les appartement de voisinage- bilan d'une action, 1994 (France); 1/2journée d'information sur les appartements de voisinage au CR-DSU le 6/4/95 avec les éducatrices, le chef de projet, l'agent de développement social et le chargé d'évaluation de l'action.
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